• Mai 22, 2019
  • Perspectives

Le Canada est-il mûr pour le populisme? Et est-ce que c’est forcément mauvais?

Un sondage mené par Earnscliffe démontre que la moitié des électeurs ont des opinions qui constituent des préalables à l’élection de candidats populistes.

Le populisme est rapidement devenu une force culturelle qui a provoqué un changement notoire dans le paysage politique des démocraties partout dans le monde. En conséquence, ce terme a dominé le dialogue politique au cours des dernières années mais il s’agit également d’un terme qui a été adapté pour signifier toutes sortes de choses – du nativisme à la politique de polarisation en passant par le « populisme des Prairies » de Tommy Douglas – ce qui rend malaisée l’atteinte par consensus d’une définition.

Le dictionnaire Oxford définit le populisme comme une « une démarche politique qui cherche à attirer les gens ordinaires qui ont l’impression que leurs préoccupations sont ignorées par les groupes d’élite établis. » Donc pour l’instant, accordons-nous sur cette précision.

Afin d’éviter toute hystérie superflue, il est important de se rappeler que les connotations négatives qui sont associées avec le populisme aujourd’hui ne se retrouvent pas dans tous les cas de populisme. Comme le Canada l’a démontré à quelques reprises au cours de sa brève histoire, le populisme peut insuffler une force au genre de changements progressistes que les sociétés ont appris à chérir. Le populisme peut surgir au sein de toute idéologie et ce n’est certainement pas une tendance que l’on retrouve exclusivement au sein de la droite ou de la gauche du spectre politique. Le populisme n’est pas nécessairement toujours mauvais ou toujours bon et ce jugement est souvent un question de perception.

Les types de populisme qui ont émergé récemment en Hongrie, au Brésil, en Italie, aux Philippines et ailleurs dans le monde, ainsi que les antécédents populistes mieux reconnus qui ont menés à l’élection de Donald Trump aux États-Unis et au Brexit au Royaume-Uni présentent certaines des caractéristiques les plus inquiétantes, ce qui en a amené plusieurs à se demander si le Canada pourrait faire partie de la même tendance électorale et, d’autre part, s’il y aurait de quoi s’inquiéter si cela se produisait. Pour explorer cette question, Earnscliffe a mené à l’échelle nationale une étude approfondie sur les attitudes politiques afin de vérifier dans quelle mesure les Canadiens nourrissent des sentiments populistes, qui est le plus susceptible de soutenir ces idées et pour quelles raisons.

Les résultats du sondage d’Earnscliffe démontrent que la moitié (50 %) des électeurs canadiens adoptent des positions qui les rendent favorables à des discours populistes, y compris une personne sur quatre (25 %) qui semble accepter les idées fondamentales nécessaires à l’épanouissement du populisme.

Pour que le populisme et les populistes trouvent du soutien, il faut un climat de méfiance envers les politiciens et les institutions, l’impression que le gouvernement sert des intérêts autres que ceux des « citoyens », un sentiment de frustration sur la conduite des politiques gouvernementales ainsi qu’un sentiment de peur d’être « laissé pour compte » dans un monde en changement.

Afin de mieux comprendre le penchant des Canadiens à se tourner vers un candidat populiste, nous avons mesuré le degré d’accord et de désaccord à sept énoncés spécifiques qui sont associés à divers aspects des idées populistes :

Afin d’élaborer un index qui place les Canadiens le long d’un « spectre populiste », les répondants ont reçu un score entre 0 et 7 en fonction du nombre de ces idées qu’ils expriment; le nombre 0 indiquant qu’une personne ne professe pas la moindre idée populiste et 7, qu’elle adhère résolument à toutes les idées populistes.

Les résultats montrent que très peu de Canadiens pourraient être qualifiés de populistes purs et durs – seulement 4 % d’entre eux sont en accord ou en désaccord avec toutes les idées populistes et ont obtenu un score de « 7 » sur l’échelle. À l’autre bout du registre, cinq fois plus de répondants – soit 20 % – ne professent pas la moindre idée populiste et ont obtenu « 0 ». En effet, 35 % des électeurs canadiens ont obtenu « 1 » ou moins sur l’échelle du populisme, confirmant essentiellement les caractérisations traditionnelles de la culture politique canadienne : ses citoyens adoptent le pluralisme et acceptent le gouvernement comme une institution du bien public et non du mal.

Mais comme pour toute affaire canadienne, une analyse plus poussée indique que le paysage populiste est un peu plus nuancé que la sagesse populaire donne à penser. Bien que la teneur générale de la pensée canadienne du monde pourrait très facilement être qualifiée de non populiste, 80 % de la population est en accord ou en désaccord avec au moins un des indicateurs de populisme et le quart de tous les électeurs ont obtenu une cote d’au moins « 5 » ou plus et, par conséquent, sont décidément plus populistes que satisfaits de la façon dont la démocratie canadienne tient compte de leurs intérêts. Bien qu’il soit évident que le populisme ne constitue pas un trait dominant de la pensée politique canadienne, des lignées de populisme existent, à des degrés divers, au Canada comme ailleurs.

Afin de mieux comprendre quels segments de la population sont le plus – ou le moins – susceptibles de souscrire au populisme, nous avons réduit le spectre en quatre quadrants :

Le recours à cette méthodologie nous a permis de conclure ce qui suit :

Premièrement, le populisme est alimenté par un mécontentement à l’égard de la direction que prend la société, en particulier quand cette direction est dictée par le gouvernement.

Deuxièmement, un empressement à souscrire au populisme s’appuie également sur la conviction que moi et d’autres personnes comme moi ne sommes pas prospères et que nous ne serons pas prospères dans ce monde en changement.

Le populisme se manifeste aussi par les visées politiques et la préférence partisane. Cependant, bien que sa présence se manifeste le long d’un spectre droite-gauche, les idées populistes modifient le sort des Libéraux et des Conservateurs mais pas celui du NPD

D’un point de vue plus personnel, le premier ministre Trudeau est particulièrement polarisant selon l’endroit où on se retrouve sur le spectre du populisme.

Néanmoins, les populistes ne sont pas des observateurs marginalisés et isolés. Ils sont engagés et intéressés; ils participent au processus politique et croient qu’ils ont autant d’intérêt pour les résultats des élections que ceux qui rejettent le populisme et qui se satisfont de la façon dont la démocratie sert les Canadiens.

Les électeurs qui expriment des points de vue populistes se retrouvent dans chaque région et au sein de chaque groupe d’âge, quoique l’incidence soit décidément plus élevée dans les Prairies et légèrement plus élevée chez les hommes et les électeurs de la classe moyenne.

Les populistes semblent aussi être plus motivés et galvanisés par la politique. Leurs votes sont plus souvent influencés par des enjeux qui touchent les dépenses et le déficit, l’impôt, l’immigration et la tarification du carbone.

« Au regard de ces conclusions, il semble plutôt clair que le populisme n’est pas le fruit du hasard », explique Allan Gregg, partenaire chez Earnscliffe. « Il prend plutôt racine dans le terreau du mécontentement – dans une croyance que la société évolue tellement rapidement que certains sont délaissés et que ceux qui sont chargés de protéger les personnes vulnérables contre ces aléas, soit ne les comprennent pas, soit ne s’y intéressent pas. Ce sol est ensuite labouré par les leaders politiques qui n’arrivent pas à comprendre le fossé grandissant entre ces électeurs et ceux qui les gouvernent et – comme nous l’avons vu dans d’autres pays – les semences du populisme peuvent faire croître la peur et la rancœur envers les idées et les autres qui représentent ce changement indésirable ou qui pourraient en bénéficier. »

« Grâce à un mélange de bonne fortune et de bonne politique, le Canada a réussi à éviter en grande partie ce genre de polarisation et de disgrâce. Un filet de sécurité sociale assez fort et universel, un système d’éducation publique de classe mondiale et une tradition de diversité et de coexistence ethnique signifient que la plupart des Canadiens ont peu de raisons de se dresser contre leurs concitoyens. Mais qu’on ne se leurre pas. Lorsqu’il s’agit d’égalité, de prospérité et d’anticipation de l’avenir, les Canadiens sont polarisés. De nos jours, au moins les deux tiers des Canadiens croient que leur situation ne sera pas meilleure (39 %) ou qu’elle sera pire (26 %) qu’aujourd’hui, dans trois à cinq ans, alors que seul le tiers d’entre eux ont bon espoir de prospérer à court terme. Cela donne à penser que les Canadiens réagissent à un monde en changement de manière très différente. »

« Comme nous l’avons vu dans cette étude, les électeurs qui expriment des opinions populistes sont engagés, ils sont touchés par les enjeux et ils ne semblent pas prêts à rester inactifs et à s’en remettre à leurs leaders ou au statu quo. Donc, si nous voulons éviter de connaître le même sort que les Hongrois, les Brésiliens, les Philippins et même nos voisins du Sud et si nous voulons maintenir le Canada comme un « royaume paisible », nos élus auraient tout intérêt à se montrer plus attentifs aux expression de mécontentement. »

Méthodologie : Les résultats sont fondés sur un sondage en ligne mené auprès de 2427 électeurs canadiens admissibles recrutés au hasard à partir du panel d’internautes LegerWeb, entre le 25 janvier et le 5 février 2019. À l’aide de données provenant du recensement 2016, les résultats ont été pondérés en fonction de l’âge, du sexe et de la région afin de s’assurer que l’échantillon est représentatif de l’ensemble de la population. Puisqu’il s’agissait d’un échantillon non probabiliste, on ne peut pas associer de marge d’erreur aux résultats, pas plus qu’il ne convient d’offrir une marge d’erreur comparative indicative du degré d’exactitude des résultats si l’étude avait été effectuée à l’aide de méthode d’échantillonnage aléatoire.

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