• Oct 11, 2019
  • Perspectives

Les élections fédérales de 2019 – Que pourrait-il encore se passer?

Elections-Canada-Vote

Par Allan Gregg and Hilary Martin

Comme presque tous les autres sondages accessibles au public, les recherches nationales d’Earnscliffe montrent que les libéraux et les conservateurs sont pratiquement coude à coude. En outre, les résultats régionaux par rapport au vote réel de 2015 suggèrent également qu’aucun des deux grands partis n’a la voie claire vers un gouvernement majoritaire.

Comparé aux résultats de 2015, le soutien des libéraux et du NPD dans le Canada atlantique a pris du recul, mais l’avance des libéraux continue d’être dominante et ne suggère que des changements mineurs de sièges dans la région. De même, le soutien pour le NPD et les libéraux est beaucoup plus faible au Québec (en baisse de 15 % et 8 % respectivement depuis 2015), mais cela n’a ajouté que trois points au total des conservateurs en 2015, ce qui donne à penser que le BQ pourrait être le seul parti susceptible d’accroître son nombre de sièges dans la province. En Ontario, les deux grands partis sont en baisse au profit des deux partis de troisième place, mais l’avantage des libéraux sur les conservateurs (+13 %) n’est que légèrement inférieur à celui de 2015 (+20). Les intentions de vote actuelles dans les Prairies semblent correspondre aux résultats de 2015, bien que la domination des conservateurs et le déclin des libéraux au Manitoba et en Saskatchewan semblent présager de modestes gains pour les conservateurs. Comme c’est souvent le cas, ces résultats suggèrent que l’élection pourrait être gagnée ou perdue en Colombie-Britannique, où le NPD et les libéraux sont en baisse (de 11 et 4 points respectivement) alors que le Parti vert affiche sept points de plus qu’en 2015 et les conservateurs, quatre points.

Alors, est-ce, comme certains l’ont suggéré, une « élection Seinfeld », où rien ne se passe, ou est-il possible que les tendances de vote changent au cours des deux prochaines semaines pour donner un résultat qu’aucun d’entre nous n’aurait pu prévoir?

UN ÉLECTORAT VOLATIL ET POREUX

Une analyse plus approfondie du sentiment de l’électorat canadien révèle à quel point il pourrait être volatile. En effet, malgré tous les discours sur la polarisation partisane, nos recherches indiquent que non seulement les conservateurs ou les libéraux peuvent former un gouvernement au Canada, mais que le Parti vert et le NPD ont le potentiel de doubler leurs niveaux actuels d’appui.

En effet, lorsqu’on leur demande s’ils envisageaient « certainement, probablement, probablement pas ou certainement pas » de voter pour chaque parti, environ la moitié de la population votante n’exclut pas la possibilité de voter pour l’une ou l’autre des options disponibles. L’exception est le Parti populaire – près des deux tiers affirment qu’ils ne seraient « certainement pas » enclins à faire ce choix.

Au-delà de cette tendance générale des grands partis, les libéraux ont une base potentielle d’appui qui est de cinq points supérieur à celle des conservateurs, et ils ont aussi 8 % plus d’électeurs qui ne considéreraient « certainement pas » le PPC. Affichant sa récente résurgence au Québec, le BQ dispose du plus grand bassin d’appui disponible de tous les partis, soit 41 %.

De plus, parmi ceux qui sont prêts à considérer chacun des quatre principaux partis (les libéraux, les conservateurs, le NPD et les verts), au moins un tiers sont également prêts à envisager de voter pour un autre parti, et dans le cas des candidats du NPD et des verts, plus d’un tiers sont prêts à envisager de voter pour jusqu’à trois autres possibilités. Et d’importance particulière, avec un ratio de près de deux pour un, ces personnes ont tendance à être plus ouvertes à voter libéral que conservateur.

Ces résultats révèlent que non seulement l’électorat a le potentiel d’être volatile, mais que la préférence partisane est également extrêmement poreuse, la plupart des électeurs sont disposés à envisager d’autres options à leur disposition. En outre, cette porosité est particulièrement évidente pour les électeurs qui sont les plus susceptibles d’envisager une option de centre gauche ou de troisième parti.

alignement de l’électorat depuis 2015

Lorsque nous analysons ce qui est arrivé au choix des électeurs canadiens depuis 2015, la mesure dans laquelle ils sont prêts à envisager d’autres options et à changer de préférence partisane devient évidente.

Comme le montre le tableau ci-dessus, seuls les conservateurs (84 %) et le BQ (80 %) ont été en mesure de conserver la plupart de leur base de 2015. Les libéraux ont conservé moins de six électeurs sur dix qui les ont appuyés aux dernières élections. Autrement dit, les libéraux ont perdu 41 % de la base qui leur a donné un gouvernement majoritaire il y a quatre ans. Le Parti vert et le NPD ont subi des pertes encore plus importantes, la moitié de leurs partisans de 2015 exprimant actuellement une préférence pour un autre parti. Dans l’ensemble, ces changements collectifs donnent à penser qu’un peu plus d’un tiers de tous les électeurs canadiens ont actuellement l’intention de voter pour un parti différent de celui qu’ils ont appuyé aux dernières élections fédérales.

Reflétant en outre la porosité partisane décrite ci-dessus, aucun parti n’a été le bénéficiaire de ce réalignement massif, mais les libéraux ont clairement été les moins en mesure d’obtenir de nouveaux partisans.

Le quart de la base de soutien actuelle des conservateurs se compose d’électeurs libéraux de 2015. En proportion de leur vote total, le NPD et le Parti vert ont réussi à obtenir une plus grande proportion de partisans libéraux mécontents, soit 30 % et 40 % respectivement. Toutefois, les gains du NPD ont été annulés par les pertes subies depuis 2015 au profit du Parti vert (17 % de sa base actuelle) et du BQ (16 %); mais aussi des libéraux (9 %), et même des conservateurs (6 %). En d’autres termes, bien que le NPD ait pu profiter de l’érosion de l’appui libéral au cours des quatre dernières années, il a perdu une partie importante de sa base de 2015 au profit de l’ensemble des partis. Le Parti vert a connu un schéma de réalignement semblable, mais moins aigu. Il a recueilli les votes libéraux (40 % de leur base actuelle), mais ils ont aussi fait fondre l’appui d’anciens électeurs au profit des autres partis.

À bien des égards, le parti qui a le plus profité de ce réalignement post-2015 a été le BQ. Seulement la moitié de leurs partisans actuels ont voté BQ en 2015, le reste étant presque entièrement composé d’anciens électeurs libéraux (21 %) et néo-démocrates (16 %).

Que pourrait-il se passer au cours des dix prochains jours?

Ce que ces résultats indiquent, c’est que ceux qui suivent la politique canadienne ne devraient jamais écarter la possibilité d’un changement massif, même si cela ne semble pas se produire à l’heure actuelle. En d’autres termes, dans les élections canadiennes modernes, « ce n’est jamais fini tant que ce n’est pas fini ».

Le tableau ci-dessous confirme simplement cette maxime. Près d’un tiers des électeurs actuellement décidés ont un deuxième choix et disent qu’il est au moins « assez » sinon « très probable » qu’ils optent pour celui-ci entre le moment de l’entrevue et le jour de l’élection.

Les votes pour les conservateurs (22 % des électeurs susceptibles de changer d’idée) et surtout pour le BQ (18 % des électeurs susceptibles de changer d’idée) sont nettement « plus décidés » que ceux pour les libéraux (29 % des électeurs susceptibles de changer d’idée). En combinant ces résultats avec l’analyse précédente de la taille du bassin de vote de chaque parti, il est clair que même si les libéraux ont plus de potentiel de croissance que les conservateurs, ils ont aussi plus de chances de perdre une plus grande part du deuxième choix. Autrement dit, les libéraux ont un plafond d’appui plus élevé que les conservateurs, mais ils ont aussi un plancher inférieur. En revanche, le BQ a non seulement le plafond le plus élevé, mais aussi le plancher le plus bas, ce qui rend leur soutien à la fois plus stable et potentiellement plus fluide vers le haut que l’un ou l’autre des principaux partis.

En revanche, les partis de troisième place et plus petits ont non seulement des bassins d’électeurs beaucoup plus restreints à leur disposition, mais ils sont aussi beaucoup plus susceptibles de perdre l’appui qu’ils ont déjà aux libéraux, aux conservateurs ou au BQ.

Donc… si d’autres réalignements des électeurs devaient se produire, qu’est-ce qui est le plus susceptible de se produire?

Comme le montre le tableau ci-dessus, aucun des principaux aspirants à cette élection n’a beaucoup à gagner en essayant de supprimer le vote de l’autre; car seulement environ un électeur conservateur actuel sur six est susceptible de graviter vers les libéraux comme deuxième choix et vice versa. Au contraire, si le vote libéral s’amenuise, il serait beaucoup plus probable qu’il profite au NPD et même au Parti vert qu’aux conservateurs. De même, si les conservateurs subissaient des pertes, cela profiterait autant au Parti populaire, au NPD ou au Parti vert qu’aux libéraux. En d’autres termes, si le vote libéral ou conservateur devait diminuer au cours des deux prochaines semaines, l’appui aux partis tiers (autres que le BQ) augmenterait plus rapidement et plus fort que pour leur principal adversaire.

Cette même tendance de base apparaît dans la base d’électeurs actuelle du BQ. Si son appui devait subir un recul, les électeurs du BQ qui feraient défection graviteraient vers le NPD et le Parti vert environ deux fois plus que vers les libéraux ou les conservateurs. Qui plus est, même si les différences ne sont pas énormes, ces résultats suggèrent aussi que si le vote du BQ s’effondrait, cela profiterait davantage aux conservateurs qu’aux libéraux. À bien des égards, le BQ pourrait constituer le plus grand obstacle à toute voie prospective vers le renouvellement de la majorité libérale. À son niveau actuel, le BQ s’apprête à remporter de nouveaux sièges, privant ainsi les libéraux de la possibilité d’obtenir d’autres sièges dans les circonscriptions du Québec pour compenser les sièges qu’ils sont susceptibles de perdre ailleurs. Inversement, toute suppression du vote du BQ profitera davantage à tous les autres partis qu’aux libéraux.

À 10 % d’appui national actuel, le deuxième choix du Parti vert ne figure pas vraiment dans un recalcul significatif d’un éventuel réalignement des électeurs. Si ses électeurs devaient faire défection, c’est le NPD qui en profiterait le plus, mais seulement à un maximum de 3 % du vote populaire total. De même, un effondrement complet du Parti vert n’ajouterait que 1 % au vote populaire des libéraux et 2 % à celui des conservateurs.

Ce qui arrivera au vote du NPD au cours des deux prochaines semaines, en revanche, pourrait avoir un impact majeur sur le résultat des élections. Si ses électeurs devaient faire défection, le Parti vert pourrait prendre un peu moins du tiers de son deuxième choix, mais les libéraux gagneraient encore plus (36 %). Par conséquent, si le BQ présente le plus grand obstacle à la victoire libérale, le NPD offre la plus grande possibilité d’une telle victoire.

Enfin, une analyse du deuxième choix souligne une grande partie du dilemme des conservateurs au cours des deux prochaines semaines. Non seulement ont-ils très peu à gagner en essayant de secouer les votes de leur principal concurrent libéral, mais ils n’ont pratiquement pas d’appui de deuxième choix parmi les électeurs du NPD, et le deuxième choix vert est vraiment trop petit pour faire une grande différence dans le résultat des élections. En effet, leur meilleure possibilité de réaligner le vote serait d’attaquer le BQ; mais ils devraient le faire en sachant que, s’ils réussissent, cela profiterait encore plus au NPD qu’à eux, ce qui pourrait aussi aider le NPD à regagner des sièges au Québec qui seraient perdus à l’heure actuelle. Face à la navigation sur ce terrain dangereux, la meilleure voie vers la victoire pour les conservateurs au cours des deux dernières semaines de la campagne est peut-être de tenter de galvaniser leur base afin d’obtenir un avantage de participation sur les libéraux.

Pris ensemble, ces résultats suggèrent que même si l’électorat est volatil et que la partisanerie est poreuse, il n’y a pas de principe directeur sur lequel un changement majeur est susceptible de se produire dans une seule direction déterminante. Pour l’instant, les libéraux semblent bloqués par le BQ au Québec. Les conservateurs sont ceux qui ont le moins de marge de manœuvre pour croître à l’échelle nationale. Même si leur vote est extrêmement stable, le BQ semble s’être approché du sommet de son appui. Les partis néo-démocrate et vert ont le plus de marge pour croître, mais ils sont aussi les plus susceptibles de se faire presser et de perdre l’appui si l’électorat décide de voter stratégiquement. La seule chose qui semble absolument certaine, c’est que Maxime Bernier et le nouveau Parti populaire n’auront pas l’impact qu’ils espéraient avoir sur cette élection.

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