Écrit par Greg Weston
Alors que les Canadiens ordinaires se préparent à célébrer la fin d’une élection fédérale marquée par des diffamations personnelles, un leadership terne et des promesses concurrentes à « un poulet dans chaque pot », les stratèges et les sondeurs des partis commencent à songer à la possibilité réelle qu’un nombre d’électeurs non inspirés opteront pour rien de ce qui précède et resteront à la maison le jour de l’élection.
Ce genre de dysfonctionnement n’est pas nouveau, bien qu’il s’agisse d’une maladie relativement récente dans l’histoire de la démocratie canadienne — les cinq pires taux de participation aux élections fédérales depuis la Confédération ont tous été enregistrés au cours des 20 dernières années. Dans les 42 élections tenues depuis 1867, le taux de participation moyen a été de 70,7 pour cent, tandis que dans les six élections depuis 2000, le taux de participation a glissé à 60,9 pour cent.
Si les Canadiens ont des raisons de s’inquiéter de la santé démocratique du pays lorsque deux citoyens sur cinq ne votent pas, peu de choses empêchent les stratèges de campagne de dormir la nuit plus que celle de la participation électorale. Après tout, à quoi bon convaincre les gens de soutenir votre parti s’ils ne vont pas aux urnes?
Alors que l’élection fédérale actuelle se dirige vers le jour J le 21 octobre, l’histoire récente suggère que chacun des principaux partis politiques a ses propres bonnes raisons d’avoir le sommeil troublé en raison de la participation électorale :
Libéraux : Il est probable que personne sur le parcours de campagne ne se préoccupe plus de la participation électorale que les libéraux. Les deux plus faibles résultats électoraux de l’histoire des élections fédérales canadiennes ont été en 2008 (58,8 %) et en 2011 (61,4 %) respectivement, et la quasi-totalité de cette baisse de la participation électorale semble avoir été aux dépens des libéraux. Les résultats ont été des défaites écrasantes pour les libéraux.
Bien qu’il y ait une myriade de raisons pour lesquelles les gens ne se présentent pas pour voter, il ne fait aucun doute que les chefs impopulaires des libéraux de l’époque – Stéphane Dion en 2008 et Michael Ignatieff en 2011 – ont motivé de nombreux partisans à rester les bras croisés. Alors, qu’est-ce que cela nous dit au sujet de Justin Trudeau?
Même s’il est loin d’avoir été relégué à l’arrière-plan de l’opinion publique comme ses deux prédécesseurs, l’image de marque de Trudeau a néanmoins été ébranlée par les scandales de SNC-Lavalin, du « black face » et des voltefaces sur les promesses électorales précédentes. Aujourd’hui, les sondages indiquent que son appui au poste de premier ministre préféré a été fortement réduit, même s’il devance toujours le chef conservateur Andrew Scheer et le reste des chefs de parti.
Tout cela pourrait avoir un impact significatif sur la participation électorale qui dépend tellement de la motivation des partisans à se présenter le jour de l’élection. Les conservateurs l’emporteront-ils, soutenus par les faux pas de Trudeau et une course si serrée qu’ils peuvent presque sentir le pouvoir? Ou bien les libéraux, voyant leur chef tomber dans l’estime, viendront-ils à l’aide du parti de toute façon, ne serait-ce que pour garder les clés de la forteresse?
Un groupe d’anciens partisans libéraux qui attire toute l’attention de la campagne libérale est le nombre estimé de 1,2 million de jeunes Canadiens que Trudeau a aidé à attirer dans l’isoloir pour la première fois en 2015. Un groupe démographique historiquement connu pour son aversion générale pour les élections fédérales, il ne fait aucun doute que leur participation surprise aux dernières élections a joué un rôle central dans l’élection des libéraux. Inversement, s’ils se replient cette fois-ci, une absence massive pourrait être suffisante pour renvoyer JT et Cie sur les bancs de l’opposition.
Enfin, le faible taux de participation électorale a le potentiel de démentir les sondages d’opinion publique : De nombreux partisans potentiels des libéraux déçus de leur propre parti et de son chef, mais peu disposés à voter pour l’une des alternatives, peuvent bien dire aux sondeurs que leur préférence de vote aujourd’hui est libérale, alors que leur décision finale sera de ne pas voter du tout.
Conservateurs : Parmi tous les partis fédéraux dans la course actuelle, l’histoire récente suggère que les conservateurs ont le noyau de partisans le plus loyal, et donc qu’ils ont sans doute le plus à gagner d’une faible participation électorale globale qui supprime de façon disproportionnée les autres parties. Au cours des quatre dernières élections, le parti de Stephen Harper a recueilli un nombre similaire de partisans à chaque fois. Même lorsqu’ils ont perdu le pouvoir en 2015 à cause d’une vague libérale, l’appui des conservateurs n’a que légèrement diminué par rapport aux élections précédentes.
Malgré la loyauté traditionnelle du troupeau conservateur sous la direction de Harper, les stratèges du parti ont presque certainement leur part de nuits blanches en raison de leur nouveau chef. Andrew Scheer ne met pas vraiment le brasier sur le pays avec un leadership inspirant. Au contraire, son image publique de personnage grand, fade et très conservateur a sans doute contribué à l’échec du parti à prendre de l’avance dans l’opinion publique, malgré les 18 derniers mois de malheurs libéraux.
Pour faire sérieusement concurrence à Trudeau, Scheer doit convaincre la frange conservatrice des libéraux d’abandonner leur parti et leur chef, et de se tourner vers lui et son parti, plutôt que de rester à la maison pour protester et ne pas voter.
En fin de compte, dans une course où les libéraux et les conservateurs sont au coude à coude dans le dernier droit, il n’en faudrait pas beaucoup pour que les électeurs potentiels du PCC fassent pencher la donne en restant à la maison le jour de l’élection parce qu’ils ne peuvent tout simplement pas se faire à l’idée de Scheer ou Trudeau comme premier ministre.
Néo-démocrates : La mauvaise nouvelle pour le NPD et le chef Jagmeet Singh, c’est qu’à moins d’un revirement énorme, leur niveau d’appui à cette élection a été si bas dans l’opinion publique par rapport aux deux autres grands partis qu’ils auront vraisemblablement de la difficulté à gagner la douzaine de sièges nécessaires au maintien du statut officiel de parti au Parlement.
La bonne nouvelle, c’est que l’appui du NPD est si faible que l’on peut probablement affirmer sans trop s’avancer que les piliers qui restent encore fièrement vêtus d’orange aujourd’hui marcheraient à travers le feu pour se rendre à l’isoloir le 21 octobre. En ce sens, le parti bénéficierait probablement d’un faible taux de participation qui frapperait presque certainement les libéraux beaucoup plus durement que le NPD.
Verts et Parti populaire : Bien que certains experts semblent avoir de grands espoirs pour le Parti vert d’Elizabeth May dans cette élection, les sondages ne montrent pas encore de signes d’une vague verte, et sans une telle vague, l’impact d’une faible participation électorale globale est susceptible d’être minime. Idem pour le Parti populaire de la droite dure, et son chef Maxime Bernier – la participation électorale n’a pas beaucoup d’importance quand on en a très peu dès le départ.
Enfin, au Québec, un faible taux de participation aurait probablement le plus d’impact sur la résurgence du Bloc québécois et indirectement sur le résultat national. Les sondages montrent que le parti séparatiste qui a été presque marginalisé aux dernières élections est maintenant en deuxième position au Québec derrière les libéraux. Une grande partie de la popularité soudaine du BQ est constituée de partisans mécontents d’autres partis qui sont à la recherche d’un endroit pour garer leurs votes en signe de protestation, et dans une élection avec un faible taux de participation électorale, les votes de protestation stationnés ont tendance à être tout simplement absents. D’autre part, le BQ a de l’élan et un taux de participation élevé pourrait priver les libéraux des sièges auxquels ils se fient pour remporter un gouvernement majoritaire.
Quoi qu’il arrive d’ici la fin de la campagne 2019, un faible taux de participation pourrait produire un résultat électoral surprise. Et si le nombre d’électeurs qui ne se présentent pas aux urnes est suffisant pour influer un parti plus qu’un autre, le choix du prochain premier ministre du Canada pourrait être décidé autant par ceux qui n’ont pas voté que par ceux qui l’ont fait.