Les Canadiens ont élu un gouvernement libéral minoritaire
- Avec 157 sièges, les libéraux sont à 13 sièges d’une majorité de 170, et détiennent maintenant 20 sièges de moins qu’à la dissolution de la dernière législature.
- Les conservateurs en ont remporté 121, soit 26 sièges de plus.
- Le grand gagnant de la soirée a été le Bloc québécois, qui occupera 32 sièges à Ottawa contre 10 avant l’élection.
- Le Bloc est également passé de la quatrième à la troisième place, devant le NPD, qui a perdu 15 sièges et en compte maintenant 24.
- Malgré le début de la campagne électorale avec de grands espoirs de duel avec le NPD pour la troisième place, les verts n’ont élu qu’un député supplémentaire au Nouveau-Brunswick.
- Le Parti populaire du Canada n’a pas élu de députés et le chef Maxime Bernier a perdu son siège au Québec.
- Une députée indépendante a été élue, soit Jody Wilson-Raybould, l’ancienne ministre libérale de la Justice qui a rompu avec le premier ministre au sujet de la question SNC-Lavalin et qui a démissionné au Cabinet plus tôt cette année.
Participation électorale et “efficacité” du vote
Un nombre record de 17,89 millions de Canadiens se sont rendus aux urnes hier pour un taux de participation de 66 %, soit près des 68 % qui ont voté en 2015.
Les conservateurs ont remporté le vote populaire avec 34,4 %. Les libéraux formeront le gouvernement avec 33,04 %, soit la plus faible proportion des voix pour un parti au pouvoir dans l’histoire du Canada. En raison des aléas du système électoral uninominal à un tour et de l’efficacité de leur vote, les 33 % des libéraux ont obtenu 46,45 % des sièges au Parlement, ce qui est le résultat électoral le plus déformé que nous ayons jamais vu.
Le NPD a suivi avec 15,91 % des voix, puis le Bloc avec 7,7 %, les verts avec 6,5 %, puis le Parti populaire avec 1,64 %.
Une autre façon d’examiner les chiffres est de se concentrer sur les votes pour les différents partis hier par rapport aux résultats de 2015. Hier, le vote bloquiste a augmenté de 556 000 voix par rapport à 2015 et les conservateurs ont augmenté leur appui de 540 000 voix. Hier, les libéraux ont obtenu 789 000 votes de moins par rapport à 2015 et l’appui du NPD a été réduit de 623 000. Il s’agit de changements substantiels dans la préférence des électeurs.
Que se passera-t-il ensuite?
Avec un total de 157 sièges et 36 sièges de plus que les conservateurs, les libéraux ont une minorité « forte ». Les 24 sièges du NPD, combinés à ceux des libéraux, totalisent 181, bien au-delà du seuil de la majorité de 170. Cela signifie que les positions politiques progressistes du NPD en font le partenaire logique des libéraux. Dans son discours d’hier soir, Justin Trudeau n’a donné aucune indication sur la façon dont il pourrait procéder à la formation d’un gouvernement, mais le chef du NPD, Jagmeet Singh, a dit qu’il s’attendait à parler au premier ministre sous peu.
Lorsque les deux hommes parleront, ils chercheront à s’entendre sur la façon de travailler ensemble pour que le gouvernement puisse assurer et maintenir la confiance dans la Chambre des communes. Les trois minorités les plus récentes, Paul Martin et les deux de Stephen Harper, se sont déroulées au cas par cas, ce qui signifie que le gouvernement négocie l’appui d’un ou de plusieurs autres partis pour son discours du Trône, son budget et ses principaux projets de loi.
Trudeau et M. Singh pourraient également s’entendre sur une relation plus formelle au moyen d’une entente écrite dans laquelle les libéraux adopteraient certaines politiques précises du NPD en échange de l’appui du NPD lors du discours du Trône et dans le cadre du budget et des lois d’envergure du gouvernement. Un exemple récent d’une telle collaboration potentielle se trouve dans l’Accord de confiance et d’approvisionnement de la Colombie-Britannique entre le NPD et les verts, qui permet actuellement un gouvernement minoritaire stable et fonctionnel en Colombie-Britannique.
Dans l’élaboration d’un accord, il y a des éléments manifestes de terrain d’entente où les chefs pourraient commencer. Avec quelques différences d’approche, les deux parties ont promis de réduire les factures de téléphones cellulaires. Les libéraux ont promis des améliorations pour les prêts étudiants, tandis que le NPD a demandé la renonciation aux intérêts sur les prêts étudiants. Les libéraux ont promis des modifications à l’Incitatif à l’achat d’une première propriété et à une taxe nationale sur les propriétés résidentielles vacantes; le NPD veut des investissements importants dans le logement. Le NPD a demandé l’introduction d’un impôt sur la « super richesse » et les libéraux pourraient y être ouverts.
La formation du cabinet
Un gouvernement qui est si peu représenté de Winnipeg à Vancouver soulève nécessairement des questions de légitimité dans l’esprit de nombreux Canadiens de l’Ouest. De plus, la résurgence du Bloc rendra les relations entre Ottawa et Québec plus tendues qu’elles ne l’ont été pendant de nombreuses années. Les nombreux gouvernements provinciaux conservateurs à travers le pays peuvent aussi se sentir enhardis à « charger les barrières » contre Ottawa.
Il faudra quelques jours et quelques semaines pour que la profondeur et l’orientation des tensions d’aliénation régionale qui ont été débloquées par ce résultat électoral fédéral des plus inhabituels se manifestent. Dans un premier temps, M. Trudeau doit réparer les barrières avec Doug Ford et Jason Kenney, qu’il a mis au pilori pendant l’élection comme substituts d’Andrew Scheer.
Compte tenu des résultats d’hier soir, M. Trudeau devra relever de sérieux défis dans le choix d’un cabinet. En plus de s’attaquer aux tensions fédérales-provinciales évidentes, il doit répondre à la réprimande claire qu’il a reçue des électeurs et des régions hier soir. De plus, les députés libéraux ont été élus, en très grande partie, à partir des sièges des villes et des banlieues, alors comment le premier ministre assurera-t-il la représentation rurale au sein de son cabinet?
Les libéraux ont été exclus dans les provinces productrices de ressources de l’Alberta et de la Saskatchewan, et ils ont également perdu leur ministre hautement expérimenté, Ralph Goodale, qui a été un pilier de l’Ouest des gouvernements libéraux depuis Jean Chrétien dans les années 1990. Le premier ministre doit donc trouver une façon créative d’inclure des représentants de ces deux provinces dans son gouvernement. La nomination au Sénat est l’option évidente, mais cela obligerait le premier ministre à abandonner le nouveau processus de nomination indépendant que son gouvernement a créé au cours de son premier mandat.
La nature des minorités
reprises au Canada, de sorte que nous avons une expérience significative dans leur façon de fonctionner :
- Les gouvernements minoritaires ont une courte durée de vie. Ce n’est qu’une fois dans l’histoire du Canada qu’un gouvernement minoritaire a duré un mandat complet de quatre ans. La durée moyenne des récentes minorités de Martin et Harper était de 22 mois.
- Les gouvernements minoritaires ont tendance à être fortement volatils et partisans. Le positionnement politique des partis et leurs stratégies quotidiennes sont motivés par des intérêts partisans; en quelque sorte, la campagne se poursuit. Étant donné qu’une élection peut avoir lieu à tout moment, les partis politiques restent sur un « pied de guerre ».
- Le programme du gouvernement sera ramené aux éléments essentiels et ceux-ci seront considérés sous un angle intensément politique. Une fois que le Cabinet aura été nommé, le premier budget du gouvernement sera le creuset où les grandes orientations des programmes sont fixées et où les décisions en matière de dépenses et d’imposition seront prises.
- En raison des difficultés à faire adopter une loi par la Chambre des communes, les gouvernements minoritaires ont tendance à préférer faire appel à la réglementation pour atteindre leurs objectifs stratégiques. Dans le nouveau gouvernement, plusieurs grands secteurs de l’économie devront faire face à une foule de changements réglementaires importants.
- La stabilité de tout gouvernement minoritaire est grandement influencée par la position des chefs, la santé financière des partis et leur appétit pour des élections anticipées. Après une campagne difficile et rancunière, aucun parti n’est susceptible d’exhorter à des élections anticipées, du moins jusqu’à ce que les coffres du parti aient été reconstitués. Cette réticence est probablement favorable au gouvernement, du moins jusqu’à ce qu’une année se soit écoulée.
Dans ce nouveau gouvernement minoritaire, la défense des affaires publiques sera beaucoup plus compliquée. En plus du gouvernement, le NPD sera un nouvel acteur majeur, comme avec le choix des comités permanents de la Chambre et, en outre, du Sénat.
Les gagnants et les perdants
Les résultats d’hier ont donné à chaque chef des victoires à célébrer et des pertes à déplorer.
Trudeau a perdu sa majorité, tout comme son père en 1972, mais sa minorité est beaucoup plus importante et plus sûre, avec une avance de 36 sièges sur les conservateurs de deuxième place, par opposition à la marge de deux sièges que Pierre Trudeau a remportée sur Robert Stanfield.
Avec les défis auxquels M. Trudeau a dû faire face après quatre ans au pouvoir, de nombreux conservateurs croiront qu’Andrew Scheer aurait dû faire beaucoup mieux dans cette élection, mais son parti revient avec 26 sièges de plus, une amélioration considérable. Son parti a mené une campagne qui n’a guère fait plus que répondre à sa base et fait face à de réels défis dans l’élaboration d’un programme qui permettra d’élargir son bassin accessible d’électeurs.
Après avoir mené une campagne inspirée et s’être bien débattu dans les débats, Jagmeet Singh n’a pas réussi à exploiter son élan. Son parti a été presque anéanti au Québec et a perdu des sièges partout au pays. Cela dit, le NPD a pratiquement été déclaré inerte au début de la campagne et se tire de l’élection avec une unité forte et cohésive et un chef revitalisé. Dans son discours de la soirée électorale, M. Singh a promis d’utiliser la nouvelle position du NPD comme équilibre des pouvoirs pour se battre pour le programme de son parti.
Quoi qu’il en soit, le Bloc québécois a remporté haut la main hier 32 sièges et fait mal aux libéraux, aux conservateurs et au NPD. Le chef Jean-Yves Blanchet a essentiellement fait un marché pour assurer le succès de son parti : au lieu de défendre la souveraineté, il a mis l’accent sur la rhétorique plus vendable et populaire du nationalisme québécois. Ce faisant, il a fait de son parti une filiale en propriété exclusive du gouvernement provincial du Québec, la Coalition avenir Québec.
Cette élection était censée être la percée des verts, mais cette promesse ne s’est jamais concrétisée. Elizabeth May et son parti ont flanché sous la surveillance minutieuse des médias et des électeurs au début de la campagne et ne s’en sont jamais remis. Leur plate-forme comportait d’importantes lacunes, des erreurs comptables et d’énormes incertitudes. L’ajout d’un seul siège au caucus de deux membres des verts est une énorme déception, ce qui entraînera probablement la retraite anticipée de Mme May.
Le Parti populaire du Canada a commencé comme un projet de coquetterie pour Maxime Bernier, le député conservateur de longue date qui s’est irrité de sa perte contre Andrew Scheer pour le leadership conservateur. Le programme populiste de M. Bernier était anti-immigrant et remettait en question bon nombre des valeurs fondamentales des Canadiens, attirant un appui de droite et de populiste. Avec la défaite de M. Bernier hier, l’avenir de son parti est incertain. Il n’a peut-être pas élu de députés, mais il a amassé beaucoup d’argent, alors il pourrait être là pendant un certain temps.
Enfin, plusieurs noms importants et bien connus ne seront pas de retour à la Chambre des communes :
- Ralph Goodale a été défait dans Regina–Wascana hier soir après avoir été député pendant 31 ans et occupé de nombreux postes de premier plan dans les cabinets de Pierre Trudeau, Paul Martin et Justin Trudeau. C’était une voix calme d’expérience et de bon jugement et il nous manquera beaucoup à mesure que le gouvernement Trudeau s’adaptera à la vie en minorité.
- Lisa Raitt a perdu son siège dans Milton, ce qui est un coup dur pour les conservateurs. Après avoir occupé plusieurs postes de haut niveau au sein du gouvernement Harper, elle a contesté le leadership conservateur remporté par Andrew Scheer et il l’a nommée chef adjointe. Au sein du caucus conservateur, elle a été l’une des principales porte-parole du côté progressiste du parti, ce qui sera essentiel pour élargir sa base au-delà de sa portée limitée actuelle.
- Amarjeet Sohi n’a pas réussi à revenir en tant que député et ministre. En tant que ministre principal de l’Alberta, il a joué un rôle crucial dans l’explication des politiques du gouvernement en matière de ressources et de pipelines dans l’Ouest canadien.
- Jane Philpott n’a pas réussi à revenir à la Chambre en tant qu’indépendante. Après avoir été ministre principale dans le gouvernement Trudeau, elle a démissionné à cause du traitement réservé par le premier ministre à Judy Wilson-Raybould sur la question de SNC-Lavalin.
- Ruth-Ellen Brosseau, du NPD, a perdu au Québec. Après avoir été une candidate poteau très ridiculisée pour son parti en 2011, elle s’est transformée en une parlementaire accomplie et une actrice majeure au sein du caucus du NPD en tant que porte-parole en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et vice-présidente du caucus du NPD.