Pour la première fois dans une élection québécoise, 5 partis étaient représentés dans la plupart des circonscriptions. La division du vote a mené le parti Coalition Avenir Québec et François Legault à la victoire avec un deuxième mandat majoritaire lors de l’élection générale au Québec, ce lundi. Le plus grand nombre de femmes élues et la première femme autochtone du Québec élue à l’Assemblée nationale marquent des étapes importantes pour la province.
La CAQ a remporté 41 % du vote populaire et a ajouté 15 sièges dans plusieurs régions à l’extérieur de l’île de Montréal, dont Laval. Les quatre autres partis étaient presque au coude à coude dans plusieurs sondages.
M. Legault s’est adressé aux Québécois lundi soir, après sa victoire, réitérant qu’il sera un premier ministre pour tous les Québécois et exposant ses priorités pour les quatre prochaines années :
- Soutenir les enseignants et les étudiants ; investir dans les écoles et les infrastructures sportifs.
- Économie : mettre plus d’argent dans les portefeuilles des Québécois ; s’attaquer à l’abordabilité et à l’inflation ; créer de la richesse tout en réduisant les émissions de GES ; soutenir la participation des autochtones à l’économie et à la réconciliation.
- Santé : implanter des soins de santé de première ligne humains, efficaces et accessibles.
- Changements climatiques : faire du Québec un leader de l’économie verte.
- Identité nationale : mettre le Québec en premier et protéger la langue française tout en soutenant l’intégration des nouveaux arrivants.
Une nouvelle opposition au Québec
Le Parti libéral (PLQ) conservera son statut d’opposition officielle, avec Québec Solidaire (QS) comme deuxième parti d’opposition. Le Parti Québécois (PQ) a perdu son statut de parti officiel, mais restera à l’Assemblée nationale.
La cheffe libérale Dominique Anglade a été réélue dans sa circonscription de Saint-Henri–Sainte-Anne. S’adressant à ses électeurs lundi soir, Anglade a promis d’être une « voix pour tous les Québécois » — un clin d’œil à sa position sur les questions controversées, comme le projet de loi 96.
La PLQ a connu son plus faible pourcentage de voix de l’histoire récente. Le prochain vote pour la direction aura lieu en 2023. L’ouest de l’île de Montréal est resté le seul bastion avec un autre siège dans le secteur Aylmer de Gatineau — des circonscriptions principalement anglophones.
QS a conservé des sièges dans l’est de Montréal, gagnant des sièges dans certains bastions libéraux historiques comme dans le Grand Montréal. Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé ont été réélus dans leurs circonscriptions respectives.
Le PQ n’a remporté aucun siège au Saguenay–Lac-Saint-Jean pour la première fois en 50 ans, mais a élu son chef, Paul St-Pierre Plamondon.
Le Parti conservateur du Québec (PCQ) a terminé en deuxième position dans plusieurs circonscriptions de la région de Québec, mais n’a remporté aucun siège. Duhaime n’a pas réussi à remporter sa circonscription, mais a promis de revenir en 2026.
Sondages
La CAQ a maintenu une forte avance tout au long de la campagne et a assuré sa victoire majoritaire avec 41 % des voix, obtenant 71 % des sièges. Les quatre autres partis étaient presque au coude à coude dans les différents sondages entre 14 % et 16 %, ce qui a suscité un appel à une réforme électorale de la part de tous les chefs de l’opposition. Le taux de participation a été légèrement supérieur à celui de 2018, avec 67,3 % des Québécois éligibles se rendant aux urnes et la plus forte proportion de participants au vote anticipé jamais enregistrée (24 %).
- La CAQ a remporté 90 sièges, soit 16 de plus qu’en 2018
- Le PLQ a remporté 21 sièges, soit 10 de moins qu’en 2018
- QS a remporté 11 sièges, soit 1 de plus qu’en 2018
- Le PQ a remporté 3 sièges, soit 7 de moins qu’en 2018
Acteurs clés
Fort d’un mandat solide après les élections d’hier soir, le premier ministre Legault devrait annoncer certains changements au sein du cabinet au cours des prochaines semaines, avant le début de la session d’automne à l’Assemblée nationale. Il est probable qu’un certain nombre de ministres conserveront leurs portefeuilles actuels afin de poursuivre le travail entamé lors de la session législative précédente. Bien qu’il ne s’agisse que de spéculations pour l’instant, cinq ministres très en vue pourraient rester dans leur rôle actuel :
- Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé
- Le ministre des Finances, Éric Girard
- La vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault
- Le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon
- La ministre Responsable de l’administration gouvernementale et Présidente du Conseil du Trésor, Sonia LeBel
Le ministre de l’Immigration, Jean Boulet pourrait être déplacé vers un autre portefeuille à cause de certains de ses commentaires lors de la campagne.
Implications pour les secteurs clés
Environnement et énergie verte
L’environnement a été au cœur de l’élection de 2022. Tout au long de la campagne, les candidats et les partis ont souligné que le Québec est un chef de file de l’économie verte et qu’il doit prendre des mesures pour consolider ce rôle à l’échelle nationale et internationale. Les engagements environnementaux de la CAQ se sont inspirés du Plan pour une économie verte, qu’elle a présenté au début de 2022 comme une « feuille de route » pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions. Les engagements électoraux comprenaient :
- Réduire de 37,5 % les GES par rapport aux niveaux de 1990, d’ici 2030
- Atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 grâce à l’électrification des transports, à la réduction des émissions de GES industrielles, à l’hydrogène vert et à la bioénergie
- Créer un Fonds bleu de 650 millions de dollars sur cinq ans pour protéger l’eau
- Protéger 30 % du territoire québécois d’ici 2030
M. Legault a fait valoir que l’abondance de l’hydroélectricité au Québec est essentielle pour atteindre les objectifs de décarbonisation de 2030 et 2050. La plateforme de la CAQ comprend des engagements à construire des infrastructures pour répondre aux besoins de la province en électricité propre, par le biais d’investissements dans les énergies renouvelables telles que les nouvelles énergies éolienne, solaire, géothermique et hydroélectrique, ainsi que les alternatives émergentes aux combustibles fossiles comme l’hydrogène et les biocarburants. Le stockage de l’énergie sera également essentiel à l’électrification, ce qui nécessitera le développement d’une chaîne d’approvisionnement en minéraux et en batteries critiques pour faire du Québec la « batterie verte » de l’Amérique du Nord.
Le gouvernement de la CAQ poursuivra ses efforts pour exploiter l’énergie propre et les ressources naturelles du Québec à des fins de développement économique. L’approche de Legault et de Fitzgibbon en matière de politique d’innovation a de plus en plus combiné les intérêts du développement économique avec l’environnement et les ressources naturelles. La Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation (SQRI2), Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques et la Stratégie québécoise de développement de la filière batterie, ainsi que les Zones d’Innovation, sont des exemples de politiques mises de l’avant par la CAQ pour attirer les investissements et stimuler la croissance économique.
Cela dit, il est largement reconnu que le Québec doit intégrer et développer des énergies alternatives pour atteindre ses objectifs d’électrification. Selon le Plan stratégique 2022-2026 d’Hydro-Québec, 100 térawattheures (TWh) d’énergie sont nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en 2050. Répondre à la demande intérieure tout en poursuivant les efforts pour accroître les exportations d’énergie du Québec sera un enjeu clé.
Innovation et sciences de la vie
Grâce à la SQRI2 et à la Stratégie québécoise des sciences de la vie (SQSV), le gouvernement de la CAQ s’efforce d’attirer des investissements étrangers dans la province. En particulier avec l’investissement dans l’innovation, la CAQ cherche à réduire de moitié l’écart de productivité avec l’Ontario d’ici 2027, en investissant 7,5 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années. Avec la SQSV, M. Legault vise à stimuler l’investissement privé dans les biosciences, à développer de nouveaux secteurs industriels et à accroître la présence des entreprises québécoises dans les chaînes d’approvisionnement internationales.
Réforme du système de santé
La CAQ a annoncé une série de mesures pour le système de santé québécois, Legault faisant marche arrière sur sa promesse électorale de 2018 selon laquelle chaque Québécois aurait un médecin de famille. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a admis en campagne que tous les Québécois n’auront pas de médecin de famille, il ne peut pas promettre quelque chose qui n’est « pas possible ». La plateforme de la CAQ a cherché des solutions de soins de santé à la fois publiques et privées pour répondre à ces questions qui se posent depuis longtemps :
- Lancer une plateforme numérique de santé, Votre Santé, pour servir de point d’entrée et orienter les gens vers le bon professionnel de santé.
- Créer une nouvelle agence de santé, Santé Québec, qui « aura le mandat de coordonner les opérations du système de santé tandis que le ministère de la Santé et des Services sociaux se concentrera sur son rôle de planification, d’orientation, de mesure de la performance du système et de budgétisation ».
- La CAQ propose de construire 2 centres médicaux privés à Québec et à Montréal pour alléger la pression sur le système de santé public (réduction de 30-40 %).
- La CAQ cherche à déployer les hospitalisations à domicile (hôpital à la maison), en transférant les patients des hôpitaux à leur domicile pour poursuivre les soins, suivis par une équipe de médecins et de pharmaciens.
- Avec un investissement de 400 millions de dollars, la CAQ prévoit embaucher 660 médecins et 5000 professionnels de la santé. Il y a 11 000 postes non pourvus dans le réseau public de santé, mais la CAQ dit qu’elle embauchera 27 000 personnes au cours des quatre prochaines années pour faire face aux retraites et aux départs.
Interrogé sur le financement des solutions du secteur privé, M. Legault a déclaré que « si on veut changer le réseau de la santé, il faut changer la recette, innover et revoir la place du secteur privé. » Il a en outre rassuré les Québécois sur le fait qu’ils ne paieraient pas directement la facture en accédant à ces services, laissant au gouvernement le soin de couvrir les coûts. « Pour nous, le secteur privé doit être gratuit pour le patient […], mais il est certain qu’au final, c’est le gouvernement qui va payer. »
Immigration et pénurie de main-d’œuvre
Tout au long de la campagne, la CAQ s’est tournée vers l’éducation et l’immigration pour résoudre le problème de l’offre de main-d’œuvre. Les pénuries de main-d’œuvre se sont notamment fait sentir dans les sciences de la vie, les soins de santé, le secteur des services, l’ingénierie et les métiers. Malgré ces préoccupations, M. Legault a clairement indiqué que l’immigration doit être limitée pour protéger la langue française.
Engagements relatifs à l’immigration incluent :
- Réduire le nombre d’immigrants de 70 000 à 50 000 par an à partir de l’année prochaine
- Investir 290 millions de dollars pour soutenir l’intégration professionnelle des nouveaux arrivants
- Investir 348 millions de dollars dans la formation professionnelle
Infrastructures et transports
Pour soutenir la transition verte du Québec, la CAQ a promis de faire des investissements dans des projets d’infrastructure clés liés à l’électrification des transports. Les engagements de la campagne comprenaient l’expansion de l’infrastructure de recharge pour le transport électrique personnel et public.
La CAQ a mis l’accent sur ses appuis dans la région de la capitale, dans le but de tenir sa promesse électorale de 2018 de construire le tunnel du “troisième lien” pour relier Québec et Lévis. Le projet est actuellement estimé à 6,5 milliards de dollars, avec la promesse de financer en partie un projet de tramway électrique. Legault a été critiqué tout au long de l’élection pour ne pas avoir rendu publiques les études sur la construction du projet.
Les investissements dans les infrastructures de demain, telles que la numérisation, l’intelligence artificielle et les télécommunications, seront tout aussi importants, tant pour moderniser l’économie du Québec que pour soutenir des secteurs essentiels tels que les soins de santé, l’énergie et l’éducation.
Loi 96
Le controversé projet de loi 96, adopté en mai 2022, a renforcé la Charte de la langue française. Justifiée par le fort désir de protéger la culture et l’identité québécoises, la CAQ s’est donné le défi de concilier ces objectifs avec le désir d’attirer plus d’investissements étrangers dans la province. Le projet de loi a été critiqué pour ses implications potentielles pour les entreprises. Plusieurs entreprises ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’adoption du projet de loi 96, demandant un report de sa mise en œuvre, car elles font face à une pénurie de main-d’œuvre. Le gouvernement de la CAQ a expliqué que le projet de loi ne sera pas mis en œuvre avant un an, donnant ainsi le temps aux entreprises de s’adapter.
- Les entreprises comptant 25 employés ou plus doivent s’assurer que le français soit la langue commune sur le lieu de travail.
- Les réfugiés et les immigrants au Québec recevront désormais des services exclusivement en français après leurs six premiers mois dans la province, sauf si cette disposition entre en conflit avec “la santé, la sécurité publique et les principes de justice naturelle”.
Quelle est la prochaine étape ?
Au cours des prochains jours, le premier ministre Legault rencontrera les chefs de l’opposition pour discuter des principaux enjeux et des priorités pour les mois à venir. On s’attend à ce que M. Legault dévoile son cabinet au cours des deux prochaines semaines.
L’Assemblée nationale du Québec reprendra ses travaux le 15 novembre 2022 pour sa 43e session. Les partis devront déterminer la voie à suivre pour le Québec sur les questions clés de l’économie, des soins de santé, des changements climatiques, de l’éducation et de l’identité nationale.