• Oct 29, 2019
  • Perspectives

Andrew Scheer et les Conservateurs

Andrew-Scheer

Écrit par Yaroslav Baran

Pourquoi entendons-nous des gens parler du leadership continu d’Andrew Scheer auprès du Parti conservateur? Assistons-nous à une reprise du « Tory Syndrome » – la vieille tradition de largage du leader du parti après un seul échec aux élections? Y a-t-il quelque chose de plus? Qu’est-ce qui se cache derrière tout cela?

Jusqu’à présent, il ne s’agit que d’une poignée de personnes dont la plupart sont opposées à M. Scheer : anciens stratèges de la campagne à la direction de Max Bernier, coupés du cercle de M. Scheer pour avoir omis de s’incliner aimablement. Les dissidents qui recherchent leurs propres intérêts peuvent avoir un effet catalyseur, cependant, si personne ne leur oppose un autre discours. Cela constitue le premier défi post-électoral pour Andrew Scheer.

Selon toute mesure normale objective, le leadership d’Andrew Scheer devrait être encore plus sûr après l’élection du 21 octobre : il fait partie de l’un des deux seuls partis à avoir gagné des sièges, il a élargi son caucus d’un quart, il a réduit son opposant extrêmement charismatique et populaire à l’échelle internationale à un gouvernement minoritaire et il a en fait remporté le vote populaire – il a obtenu plus de votes que le très populaire Justin Trudeau.

M. Scheer a efficacement rejoué le coup de M. Harper de l’élection de 2004 – excepté qu’il a aussi remporté le vote populaire.

En 2004, alors qu’il était leader de l’Opposition, Stephen Harper a affronté Paul Martin – également un leader libéral immensément populaire et premier ministre. M. Harper a fait tomber ce « poids lourd » au rang de gouvernement minoritaire et deux ans plus tard, il l’a remplacé à la tête de son propre gouvernement minoritaire. Pourtant, à cette époque, immédiatement après le scrutin de 2004, M. Harper a été assailli de questions sur ses aptitudes à diriger le parti, sa valeur « marchande » au-delà des Conservateurs et sa capacité à remporter une élection.

Alors que les détracteurs de M. Scheer soulignent les défis que M. Trudeau a rencontrés – l’enjeu SNC Lavalin et #blackface – il convient de noter que M. Harper a profité de sa propre dose d’oxygène en 2004, soit le scandale des commandites.

Mettre les choses en perspective revêt une grande importance.

Toutefois, une analyse plus approfondie confirme quelques failles et lignes de fractures importantes dans la performance de M. Scheer en campagne. Un plus grand nombre d’électeurs ont voté pour M. Scheer que pour M. Trudeau, mais si on exclut les très efficaces provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan, le niveau de vote populaire de M. Scheer dans le « reste du Canada » tombe sous la barre de trente p. cent. En termes simples, il devra faire mieux s’il veut remporter la prochaine élection. En termes pratiques, les Conservateurs devront trouver un moyen de renverser la vapeur et de plaire aux électeurs de la grande région de Toronto, Vancouver et Québec avec plus de succès s’ils veulent former le prochain gouvernement.

M. Scheer devra aussi trouver une façon de mieux expliquer comment il réconcilie sa foi et son programme politique. Après tout, il n’est pas le premier catholique à aspirer à déménager au 24 Sussex. Toutefois, il ne peut pas avoir l’air incertain quand on lui demande de quelle façon sa foi influence ses idées sur l’avortement et le mariage homosexuel. Bien qu’il y soit presque parvenu en fin de campagne, de trop nombreux Canadiens l’ont vu paraître embarrassé de parler de ces questions et donner l’impression qu’il y avait du non-dit. Il faut que cela change.

Le risque n’est pas tellement de s’aliéner les Canadiens qui ont un point de vue différent (en particulier parce qu’il n’y a rien à récuser dans son message « nous n’allons pas nous étendre sur ce point »); le plus grand risque est d’avoir l’air mal à l’aise et de paraître embarrassé de parler de ces questions.

La deuxième leçon que les Conservateurs doivent considérer est le besoin d’élargissement du discours politique. Tous les partis exploitent leurs points forts et les sondages des Conservateurs ont démontré que l’anxiété liée au coût de la vie jouait en leur faveur. Alors, ils ont construit une plateforme entière à ce sujet. Mais ce n’étais pas suffisant. Les électeurs contemporains sont des gens sophistiqués qui s’intéressent à une foule de questions. La plupart d’entre eux ne se passionnent pas pour une seule question politique au point que cela pèse sur l’entièreté de leur décision de vote. La plupart des électeurs veulent voir un plan d’action global – et un leader disposé à parler de tous les aspects de la politique publique.

Imaginez une campagne dans laquelle M. Scheer aurait le même message d’accessibilité mais qu’il parlerait avec fierté, à la moindre occasion, de son Plan pour le changement climatique :

« Il y a une situation d’urgence climatique. La différence entre M. Trudeau et moi est la façon dont nous traitons de cette question. Il veut imposer une taxe carbone lorsque Sally fera le plein de sa voiture pour amener ses enfants au soccer, lorsqu’elle fera l’épicerie pour sa famille, lorsqu’elle mettra le chauffage en hiver. J’ai un plan différent – le même que Barack Obama a suivi : n ’imposez pas les gens, exigez un plafonnement des grands émetteurs finaux. Secteur par secteur. Et s’ils ne parviennent pas à atteindre ces objectifs, faites-leur payer les travaux de recherche et développement en technologies vertes! »

Cela aurait pu changer la donne. Quant aux mérites du plan, on a constaté à maintes reprises que les électeurs sont prédisposés à aimer un message s’il vient de leur parti et à le détester s’il vient d’un parti qu’ils n’aiment pas. Mais il faut tout de même qu’il y ait un message. Dans le cas de M. Scheer, sur le plan du changement climatique, c’est un message qui aurait pu être significatif. Pour commencer, il a consacré beaucoup d’effort à élaborer son plan pour le climat – néanmoins l’équipe de campagne a choisi de ne pas en parler.

De même, la campagne a été virtuellement muette sur la politique à l’égard des Autochtones. Cela révèle un angle mort de campagne électorale axée sur l’étude de marché. C’est peut-être vrai que traditionnellement les Conservateurs ne remportent pas d’élections sur la foi de leur politique à l’égard des Autochtones mais c’est également vrai que les Conservateurs perdent des élections quand ils n’en ont pas.

Chaque leader effectue une analyse rétrospective après son premier échec à remporter le prix. M. Scheer ne fera pas autrement, s’il veut empêcher ses détracteurs dépités d’attiser une réelle dissidence, il devra démontrer qu’il écoute, qu’il apprend et qu’il est prêt à faire les choses de manière différente.

Les Conservateurs ne sont peut-être pas aussi impatients que les Libéraux qui déciment leurs leaders après leur premier échec à gagner mais peu obtiennent plus que deux chances d’y arriver. Cela signifie qu’il faut tirer des leçons, les assimiler et les intégrer dans un plan de campagne – le tout dans le cadre du mandat écourté d’un gouvernement minoritaire.

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