• Avr 17, 2025
  • Perspectives

Rapport sur les perspectives électorales : semaine 4

Tous les chefs de parti ont passé la quatrième semaine de campagne au Québec, où ils se sont préparés pour les débats des chefs, en français et en anglais, à Montréal mercredi et jeudi.

Liberal leader Mark Carney, Bloc Quebecois Leader Yves-Francois Blanchet, New Democratic Party Leader Jagmeet Singh and Conservative Leader Pierre Poilievre. THE CANADIAN PRESS/Christopher Katsarov

Le débat francophone

En tant que favori dans la campagne actuelle, le chef des libéraux, Mark Carney, devait prouver qu’il pouvait survivre aux assauts des trois autres chefs de parti et tenir son rang en français.

Alors qu’il semblait réticent au début et lent à s’engager, il est devenu plus actif au fur et à mesure que le débat avançait, et aucun des coups de poing lancés par les autres chefs de parti n’a vraiment eu d’impact. Interrogé à plusieurs reprises sur le bilan des libéraux, il a répondu : « Je viens d’arriver (et) je ne suis pas non plus Justin Trudeau », faisant aussi le lien avec ses réalisations depuis qu’il est devenu premier ministre et la question du scrutin : « La question dans cette élection est de savoir qui va réussir. Qui va faire face à M. Trump ? ».

Comme prévu, Pierre Poilievre a abordé le débat de manière plus modérée qu’il ne l’a fait au cours de la campagne, avec un peu moins de la combativité pour laquelle il est connu.

Sur la question centrale de la campagne, il a déclaré : « Personne ne peut contrôler Donald Trump, mais nous pouvons contrôler notre économie nationale en inversant les politiques économiques que les libéraux ont mises en place et qui ont affaibli notre économie ». Il s’est également montré ferme dans son soutien aux pipelines, déclarant à Yves-Francois Blanchet : « Vous dites que vous êtes en faveur de la souveraineté. Je suis en faveur de la souveraineté économique et de la souveraineté énergétique et cela nécessite un pipeline à travers le Canada ». Faisant appel au soutien du Québec, M. Poilievre a promis de donner au gouvernement québécois plus de pouvoirs en matière de politique d’immigration.

Pour M. Blanchet et le chef du NPD, Jagmeet Singh, les enjeux du débat étaient élevés, car la question du scrutin dominée par M. Trump a provoqué une chute vertigineuse du soutien public de leurs partis.

Tous deux se sont montrés fougueux et agressifs, s’efforçant de se frayer un chemin dans la conversation électorale nationale. Ils ont également passé beaucoup de temps à attaquer M. Poilievre, ce qui a apparemment allégé la pression sur M. Carney. 

À un moment donné, Jagmeet Singh s’est disputé avec le modérateur Patrice Roy parce qu’il insistait pour parler des soins de santé, qui n’étaient pas officiellement un sujet de débat. Le modérateur, ayant coupé le micro de Jagmeet Singh, s’est fait attaquer par ce dernier qui a déclaré : « Au cours de ce débat, j’ai essayé de soulever la question de la santé à plusieurs reprises et M. Roy m’en a empêché à plusieurs reprises. Regardez l’heure à l’horloge ». Comme le note le National Post, « l’horloge a en effet montré que Singh avait parlé le moins longtemps de tous les quatre chefs sur scène, soit 18:46 minutes. Les autres étaient plus proches des 22 ou 23 minutes ».

Enfin, M. Roy, le modérateur, a reproché à tous les partis de ne pas avoir publié de programmes, incluant leurs coûts, avant les débats.

M. Carney a répondu que la plateforme des libéraux serait publiée ce week-end, tandis que M. Poilievre a déclaré que les conservateurs publieraient la leur dans les jours à venir.

En résumé, la plupart des observateurs des médias se sont accordés à dire que s’il y avait un « vainqueur » dans ce débat, c’était bien Carney, dans la mesure où il avait « gagné en ne perdant pas ».

Regard sur le Québec

Avant les élections de 2025, la répartition des sièges au Québec était tripartite : le Bloc québécois détenait 34 sièges, les libéraux 33, le Parti conservateur 10 et le NPD 1. Le redécoupage fédéral de 2022 a maintenu le statu quo au Québec, donnant à la province un total de 78 sièges électoraux.  

Quand Justin Trudeau a annoncé son intention de démissionner le 6 janvier 2025, les conservateurs devançaient les libéraux d’environ 26 points à l’échelle nationale ; mais au Québec, les lacunes des libéraux se sont traduites par une avance significative pour le Bloc Québécois. Les sondages provinciaux plaçaient le Bloc à environ 37 % en janvier 2025, suivi par les conservateurs à 25 %, les libéraux à 22 % et le NPD à 10 %.

Leger

D’après les projections de sièges réalisées début janvier, le Bloc était en position de remporter jusqu’à 45 sièges en 2025, ce qui le plaçait dans la course pour devenir l’opposition officielle. 

Le soutien au Bloc a depuis lors fondu. Les tensions commerciales avec les États-Unis sont devenues la question dominante dans le discours politique au Canada, rendant les libéraux à nouveau compétitifs au Québec, principalement dans les banlieues sud de Montréal. Les derniers sondages de Léger placent les libéraux à 40 %, suivis par le Bloc à 25 %, les conservateurs à 23 % et le NPD à 7 %.

Les projections pour les conservateurs sont restées relativement stables et ne devraient pas permettre une augmentation importante du nombre de sièges. Les conservateurs conservent leur emprise sur les sièges de la ville de Québec et de la rive sud du Saint-Laurent. Le NPD devrait garder son seul siège à Montréal.

Les trois pôles au Québec

Le Québec maintient la dynamique électorale traditionnelle et régionale avec les libéraux qui dominent l’île de Montréal, les conservateurs qui sont forts autour de la ville de Québec et le Bloc Québécois qui maintient ses bastions dans de nombreuses régions francophones et rurales. Cette élection a donné l’occasion aux conservateurs de s’étendre au-delà de leur base de Québec, tandis que le Bloc cherche à défier les libéraux à Montréal et dans ses banlieues, tel que démontré lors de leur victoire à l’élection partielle de 2024 dans LaSalle-Émard-Verdun. L’élan renouvelé du Parti libéral dans toute la province veut dire que bon nombre de ces courses pourraient être façonnées par la dynamique locale et la force des candidats.

Circonscriptions électorales

La course à Trois-Rivières s’annonce très compétitive, avec le député sortant du Bloc Québécois Yves Perron, le conservateur Yves Lévesque et la libérale Caroline Desrochers. Mme Desrochers, qui est entrée dans la course au jour 10, est toujours en tête avec 33 %, suivie de près par M. Perron (30 %) et M. Lévesque, ancien maire de Trois-Rivières, en troisième position (27 %). Trois-Rivières figure parmi les neuf villes les plus susceptibles de ressentir l’impact des tarifs. En fait, la ville est touchée par les défis liés aux tarifs depuis des décennies dans ses secteurs de l’acier, de l’aluminium et de la foresterie. L’augmentation du coût de la vie pourrait devenir une préoccupation majeure pour les électeurs locaux.  

À Beauport, Hugo Langlois, candidat conservateur et animateur de radio mène avec 34 %, suivi du libéral Steeve Lavoie à 30 % et de la candidate sortante du Bloc québécois Julie Vignola en troisième position à 26 %. Le projet de corridor de transport d’un troisième lien, défendu par les conservateurs contrairement aux libéraux qui soutiennent le tramway de Québec, pourrait s’avérer une question clé dans l’issue de la course.   

La circonscription de Saguenay est jusqu’à présent restée favorable aux conservateurs, le député sortant Richard Martel menant avec 40 %. Le candidat libéral Stéphane Proulx suit avec 28% et le candidat du Bloc Québécois et ancien directeur général du journal Le Quotidien Marc St-Hilaire avec 26 %. Cette circonscription est la seule de la région actuellement détenue par un parti fédéraliste, le Bloc Québécois détenant tous les sièges voisins. La région avait déjà nourri des espoirs économiques liés au projet d’usine de liquéfaction de GNL Québec à La Baie, mais le projet avait été rejeté par le gouvernement provincial en 2021. Au cours de la campagne, le chef conservateur Pierre Poilievre s’est rendu dans la région, promettant d’accélérer l’obtention des permis pour les grands projets, un appel qui pourrait trouver un écho auprès des électeurs soucieux de croissance économique.  Malgré l’effondrement national du soutien au NPD, Berthier-Maskinongé pourrait s’avérer une exception. La course est extrêmement serrée, le libéral Stéphane Bilodeau, la néo-démocrate Ruth Ellen Brosseau et le député sortant du Bloc Québécois Yves Perron se situant tous à 28 % dans les sondages. Mme Brosseau, qui a représenté la circonscription jusqu’en 2019, cherche à faire un retour en force après avoir perdu de justesse les deux dernières élections, et frôlé la victoire en 2021. La question de logement et la politique fiscale seront au premier plan de cette course, car la région est confrontée à une augmentation du nombre de sans-abri ainsi qu’à des problèmes d’accessibilité financière.

Les batailles autour de la question du scrutin persistent

Les préoccupations liées à l’abordabilité et le coût de la vie restent prioritaires, mais une grande partie des Québécois considèrent M. Trump à la fois comme une menace existentielle et comme un facteur clé qui dictera les préférences des électeurs lors de l’élection de 2025.

Le Bloc s’est récemment aligné sur le gouvernement provincial en approuvant la liste des questions clés et des demandes des partis fédéraux dressée par le premier ministre Legault. Dans sa lettre du 27 mars, M. Legault demandait une réduction de 50 % de l’immigration temporaire sur trois ans, un contrôle provincial sur la sélection des travailleurs temporaires, la protection des piliers clés de l’économie québécoise tels que l’agroalimentaire et la gestion de l’offre, l’aérospatiale et la culture lors des négociations commerciales à venir avec les États-Unis, ainsi qu’un soutien aux investissements majeurs dans les infrastructures. La lettre soulignait également l’importance de la langue, de l’identité et de la prospérité économique.

L’identité et la langue ont toujours été des questions clés pour le Bloc, et tout au long de la campagne, Yves-François Blanchet a tenté de démontrer ses forces sur ce front, tout en reconnaissant les questions canado-américaines et leur impact sur les Québécois et l’économie du Québec. Malgré cela, on prévoit que 41 % des Québécois favorisent Mark Carney comme leur choix de premier ministre.

Un décalage persiste entre les questions nationales telles que l’abordabilité, le coût de la vie et le logement, ressenties par les électeurs dans leur vie quotidienne, et les questions de politique étrangère telles que les tarifs douaniers et la souveraineté. Dans les communautés des régions rurales et industrielles du Québec, les questions nationales, décrites plus haut, ont été identifiées comme étant les plus pressantes pour les prochaines élections. Il reste à voir si la peur et l’incertitude à l’égard des États-Unis seront la motivation dominante de cette élection et suffiront à consolider le soutien des Québécois à M. Carney. Ils sont presque également partagés, 44 % d’entre eux disent espérer un avenir meilleur et 40 % disent craindre ce que l’avenir pourrait leur réserver en cas de conflit avec les États-Unis.

Conclusion

Le Québec est la deuxième province la plus peuplée du Canada et son influence sur le résultat des élections ne devrait pas être sous-estimée. Avec 122 sièges, l’Ontario, riche en voix, est considéré comme la clé de la victoire en 2025, mais le succès au Québec pourrait dicter la forme que prendra le gouvernement, majoritaire ou minoritaire. 

Les débats, la capacité des candidats locaux à faire sortir le vote et l’évolution des questions telles que le coût de la vie, le développement économique et les tarifs douaniers joueront tous un rôle essentiel dans ces dernières semaines de campagne. Il existe un précédent et un potentiel de résurgence du soutien au Bloc à la suite des débats, comme en 2021, lorsque les électeurs québécois ont changé leur vote en faveur de M. Blanchet à la suite de ce qu’ils ont perçu comme des insultes à l’égard du Québec lors du débat des chefs en anglais. Cette fois-ci, il semble que M. Blanchet a réussi à faire valoir ses arguments auprès des électeurs nationalistes, tandis que M. Carney a parfois eu du mal à répondre en français, s’en tenant souvent à ses points de discussion de base. 

Ce cycle de campagne a également introduit de nouvelles variables. Les tarifs douaniers et les réflexions impérialistes des États-Unis ont déclenché une conversation nationale autour de l’identité et l’unité – et ces conversations ont également eu lieu au Québec. D’après le débat en français de mercredi, il semble qu’il n’y ait pas de consensus sur ce que représente l’identité canadienne, mais il semble y avoir un terrain d’entente dans la manière dont les Canadiens et les dirigeants politiques définissent notre identité en termes de souveraineté vis-à-vis des États-Unis. L’avenir nous dira si cela suffit à unir les « deux solitudes » du Canada français et du Canada anglais. 

Daniel Bernier, Delaney Cullinan, et Victoria LaChance ont contribué à la rédaction de cet article.