La dernière ligne droite
Les chefs de parti ont passé la dernière semaine de la campagne à sillonner le pays pour présenter leurs derniers arguments aux électeurs, se concentrant sur les circonscriptions qu’ils tentaient de faire basculer et renforçant le soutien aux députés sortants en difficulté. L’objectif du favori Mark Carney était de consolider son avance en maintenant l’attention sur la question du scrutin en lien avec M.Trump. M. Trump l’a aidé mercredi lorsqu’il a parlé d’augmenter encore ses droits de douane de 25 % sur les automobiles canadiennes. Comme l’a répété M. Carney à plusieurs reprises cette semaine, « les droits de douane du président Trump constituent la plus grande crise de notre vie ». Pierre Poilievre a continué à mettre en avant les deux thèmes de « l’heure du changement » et de l’accessibilité financière : « Après la décennie perdue des libéraux, tout coûte plus cher. Le Canada ne peut pas se permettre un quatrième mandat libéral ». Jeudi, le Globe and Mail indiquait que M. Poilievre pourrait être en difficulté dans sa circonscription de Carleton, dans la région d’Ottawa.
Confronté à une forte baisse du soutien au NPD au niveau national, Jagmeet Singh a passé la majeure partie de son temps cette semaine dans les circonscriptions actuellement détenues par son parti, y compris sa propre circonscription de Burnaby-Sud, pour tenter de « sauver les meubles ». Prenant la parole en Colombie-Britannique lundi et voulant déséspérement conserver le statut de parti reconnu à la Chambre (12 sièges), il a pratiquement concédé l’élection aux libéraux et a déclaré à ses partisans : « Vous pouvez faire la différence entre l’obtention d’une super majorité par Mark Carney ou l’envoi d’un nombre suffisant de néo-démocrates à Ottawa pour que nous puissions nous battre pour défendre les choses qui vous tiennent à cœur ».
Au début de la dernière semaine, les conservateurs et les néo-démocrates ont modifié l’orientation de leur campagne de sensibilisation en diffusant de nouvelles publicités. L’une des publicités conservatrices met en scène deux golfeurs d’âge mûr et met l’accent sur le bilan des libéraux et sur les risques qu’on encourt à leur donner un nouveau mandat. Il n’y a pas de mention de M. Poilievre, qui n’apparaît pas dans la publicité, ce qui constitue une reconnaissance tacite de sa faible cote de popularité auprès des électeurs plus âgés. Les sondages suggèrent que la majorité des électeurs âgés de plus de 50 ans, traditionnellement conservateurs, ont migré vers le soutien à Carney et aux libéraux.
Le NPD a publié quatre nouvelles publicités qui cherchent à détourner la question du scrutin lié à M. Trump et du désir de changement. Elles reprennent également les arguments avancés par Jagmeet Singh au cours de la dernière semaine, à savoir que les députés néo-démocrates arrivent à accomplir de bonnes choses « même lorsque nous ne sommes pas au pouvoir », et mettent également l’accent sur les familles, les soins de santé et la façon dont un gouvernement dirigé par M. Carney pourrait entraîner des coupures dans les services.
Pour une analyse des meilleures publicités de la campagne par trois experts numériques partisans dans le média The Hill Times, cliquez ici.
Où les dirigeants ont fait campagne cette semaine… et pourquoi
Mark Carney, Pierre Poilievre et Jagmeet Singh ont passé leur temps dans les régions du pays où les courses sont les plus serrées :
- À l’’île de Vancouver et les Basses-terres continentales, où le NPD a de nombreux sièges. À l’échelle de la province, QC125 démontre que les libéraux et les conservateurs sont à égalité avec 40 % chacun, et que le NPD est à 14 %.
- En Alberta, où les sondages suggèrent que les libéraux pourraient faire une percée dans ce qui leur a été un territoire hostile pendant de nombreuses années. QC125 estime que les libéraux sont compétitifs pour cinq sièges.
- Dans la zone à l’indicatif 905 autour de Toronto, où les libéraux en pleine résurgence menacent certains sièges conservateurs actuels. QC125 indique que les libéraux atteignent 48 %, soit une avance de neuf points sur les conservateurs (39 %), avec le NPD à 8 % dans l’ensemble de l’Ontario.
Au Québec, le chef du Bloc, Yves-Francois Blanchet, fort d’une progression de 4 à 5 % dans ses sondages au cours des derniers jours, s’est concentré sur les sièges détenus par le Bloc au sud de Montréal, qui sont menacés par les libéraux.
Sortons voter
À l’approche du jour du vote, on a beaucoup parlé cette semaine du « jeu sur le terrain » de chaque parti. Il s’agit d’un langage d’initiés politiques pour « Sortons voter ». Ce sont les efforts que chaque parti fait le jour de l’élection pour inciter ses partisans identifiés à se rendre aux bureaux de vote et d’entrer leurs votes dans l’urne. Donc comment savoir à qui faire appel? L’identification des électeurs est un élément clé de cet effort. Il s’agit de saisir les noms des partisans sous diverses formes, qu’il s’agisse de listes de membres d’associations dans les circonscriptions, de contributeurs financiers des partis au niveau national ou local, ou des résultats du démarchage au porte-à-porte effectué par le candidat et les représentants officiels de la campagne. En ce qui concerne les médias numériques, les conservateurs ont un avantage sur les autres partis, car ils ont investi dans la création d’importantes communautés en ligne – une source importante de noms et de points de données de partisans en plus.
Les votes par anticipation
Les bureaux de vote par anticipation ont été ouverts pendant le long week-end du vendredi 18 avril au lundi 21 avril. Après de longues files d’attente et des retards allant jusqu’à deux heures dans certains bureaux de vote, Élections Canada a indiqué que 7,3 millions de Canadiens avaient voté par anticipation, ce qui constitue un record historique et une augmentation de 25 % par rapport aux 5,8 millions qui avaient voté par anticipation lors de l’élection de 2021. Lors de cette élection, le taux de participation était de 62,6 %.
Le vote par anticipation a toujours été considéré comme un baromètre de la motivation des électeurs. Le vote par anticipation est de plus en plus connu et de plus en plus de Canadiens en profitent à chaque élection récemment, mais des questions subsistent quant à la motivation des électeurs. Est-ce qu’il s’agit simplement de personnes qui votent habituellement et qui décident de voter plus tôt? La peur, la colère et la demande de changement sont des déterminants importants de l’intention des électeurs, mais cette élection semble différente : il est clair que les Canadiens la considèrent comme plus importante. Il n’en reste pas moins que pour chacun des partis, le fait d’obtenir leur vote consolidé plus tôt leur permet de mieux s’engager dans les activités autour du thème Sortons voter durant le jour J.
Les plateformes chiffrées
Le programme libéral promet de nouvelles mesures de près de 130 milliards de dollars en coûts au cours des quatre prochaines années. Combiné aux dépenses existantes, leur plan prévoit des déficits de 62,3 milliards de dollars pour l’année fiscale en cours et de 59,9 milliards de dollars pour l’année prochaine, et ajoutera 225 milliards de dollars à la dette fédérale d’ici 2028-29. Les libéraux visent à augmenter les recettes fédérales de 51 milliards de dollars sur les quatre ans, dont 20 milliards proviendront des droits de douane en 2025-26. Le reste des économies proviendra de l’augmentation des pénalités et amendes fiscales par l’intermédiaire de l’ARC et de 28 milliards de dollars d’économies provenant d’une « productivité accrue du gouvernement » s’étalant de la période 2026-27 à 2028-29. Ces objectifs d’économies sont extrêmement ambitieux.
Le programme conservateur s’engage à 34 milliards de dollars de nouvelles dépenses et 75 milliards de dollars de réductions d’impôts au cours des quatre prochaines années. Le parti mise également sur le fait que ses politiques de croissance économique généreront des recettes fiscales supplémentaires qui, d’ici 2028-29, s’élèveront à plus de 21 milliards de dollars par an. Il prévoit des réductions nettes des dépenses de programmes de 3,046 milliards de dollars en 2025-26, qui atteindront 9,767 milliards de dollars en 2028-29. Les effets cumulés de leur programme entraîneront des déficits annuels de 31,342 milliards de dollars, qui seront ramenés à 14,153 milliards de dollars d’ici 2028-29. Les conservateurs affirment que d’ici 2029, la dette fédérale sera inférieure de 125 milliards de dollars sous un gouvernement Poilievre par rapport à un gouvernement Carney.
Le programme du NPD propose de nouvelles dépenses de programmes de 227 milliards de dollars, ce qui augmenterait le déficit de 48 milliards de dollars au cours des quatre prochaines années. L’augmentation des dépenses serait partiellement compensée par une série de mesures visant à augmenter les recettes telles qu’un impôt sur la fortune, le maintien des augmentations des gains en capital proposées par les libéraux et la promesse d’instaurer un minimum d’impôts de 15 % sur les bénéfices des entreprises, qui rapporteraient toutes 184,5 milliards de dollars.
Nouvelle ingérence étrangère
Le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections a annoncé cette semaine qu’une campagne visant Joe Tay, le candidat du Parti conservateur pour la circonscription fédérale de Don Valley-Nord, se déroule sur de nombreuses plateformes de médias sociaux où des Canadiens sinophones sont actifs. Un haut fonctionnaire du Bureau du Conseil privé a décrit cet effort d’ « opération de répression transnationale … où les gouvernements autoritaires dépassent leurs frontières pour harceler, menacer et intimider les personnes à l’étranger qui critiquent ces régimes ». Plus tôt dans la campagne, le député et candidat libéral Paul Chiang a été contraint de renoncer à son investiture après avoir suggéré que M. Tay, qui a été pris pour cible par la police de Hong Kong pour avoir prétendument enfreint la loi sur la sécurité nationale de la ville, pourrait être remis aux autorités chinoises en échange d’une prime.
Les sondages
Au début de la dernière semaine, les libéraux devançaient les conservateurs par une marge de 43 % à 38 % dans le vote populaire, selon QC125, qui fait la moyenne de tous les sondages. Le NPD se situait à 9 % au niveau national et le Bloc Québécois talonnait les libéraux au Québec par 43 % contre 25 %, les conservateurs étant à 23 % et le NPD à 5 %. Au cours de la dernière semaine de la campagne, les sondages se sont légèrement resserrés, les libéraux devançant désormais les conservateurs de quatre points de pourcentage en moyenne, 42 % contre 38 %, le NPD restant stable à 9 %. Cela dit, les conservateurs ne sont pas très rassurés par ces changements, car les marges libérales en Ontario et au Québec n’ont pas diminué.

Au Québec, QC125 place les libéraux devant les bloquistes à 40 % contre 26 %, les conservateurs restant stables à 24 %.

Derrière les sondages : qui soutient qui?
À moins d’une semaine du scrutin, les derniers résultats des sondages réalisés par diverses firmes indiquent toujours une course à deux avec les libéraux en tête, mais les chiffres de la course sont un peu plus incertains. L’écart se resserre-t-il? S’élargit-il? Tout dépend de la personne à qui l’on pose la question.
Dans Commentaires et Pronostic, Stephanie Coulter examine comment les différentes cohortes de population se répartissent le soutien aux partis.

Regard sur l’Ontario
L’Ontario est presque toujours la clé d’une campagne fédérale victorieuse. Il y a eu 18 élections fédérales au Canada depuis 1965, et le parti ayant remporté le plus grand nombre de sièges en Ontario était en mesure de former le gouvernement dans toutes les élections sauf deux (1972 et 2006). Sur ces 18 élections, 10 ont débouché sur des gouvernements majoritaires, le parti vainqueur obtenant une majorité absolue de sièges en Ontario dans tous les cas sauf un (1988).
Il y a maintenant 122 circonscriptions en jeu en Ontario dans la campagne actuelle, soit plus d’un tiers du nombre total de sièges à la Chambre des communes (à noter que le redécoupage a augmenté d’un siège le nombre de sièges de l’Ontario par rapport à l’élection fédérale de 2021). Au moment de la dissolution, les libéraux détenaient 74 sièges, les conservateurs 38, le NPD cinq et le Parti vert un, auxquels s’ajoutent trois indépendants et des sièges vacants.
Les sondages montrent actuellement que les libéraux détiennent une avance considérable en Ontario à l’approche des élections de lundi, en grande partie grâce à l’effondrement apparent du vote néo-démocrate. Bien qu’il soit fort selon les normes historiques, le vote conservateur en Ontario est inférieur à celui des libéraux d’au moins dix points de pourcentage. Si ces chiffres se maintiennent, ils seront probablement décisifs à l’issue de l’élection.
En Ontario et à travers le Canada, la réémergence de Donald Trump et la remise en cause de notre souveraineté économique et politique qui en découle constituent l’enjeu déterminant de cette campagne. Sur les 41 villes canadiennes identifiées par la Chambre de commerce du Canada comme étant les plus touchées par l’imposition de droits de douane sur les exportations canadiennes vers les États-Unis, 15 se trouvent en Ontario, réparties dans presque toutes les régions de la province.
Il y a moins de deux mois, le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, s’est assuré un troisième gouvernement majoritaire consécutif lors de sa propre élection, en s’appuyant sur une plateforme qui promettait de reconnaître cette menace existentielle apparente pour l’économie provinciale et nationale. Dès le début de la campagne, les électeurs ont opté pour la stabilité et la sécurité relative d’un premier ministre en poste. Il est révélateur que les sondages n’aient connu que peu (ou pas) de mouvements au cours des élections provinciales, restant remarquablement stables depuis le début.
Le slogan de campagne du premier ministre Ford était concis et direct, « Protéger l’Ontario », et il semble que les libéraux fédéraux, sous la houlette du nouveau premier ministre Mark Carney, aient pris cette leçon à cœur, en faisant de M. Trump et des tarifs douaniers la pièce maîtresse de la campagne libérale. En revanche, les conservateurs fédéraux ont été lents à s’emparer de la question, ce qui a incité des membres importants de l’équipe de campagne de M. Ford à exprimer publiquement et bruyamment leurs inquiétudes.
Loin d’être un monolithe, l’Ontario se compose de multiples régions diverses, couvrant une vaste étendue géographique. Ces régions diffèrent souvent sur le plan économique et culturel, mais elles représentent plus de 16 millions de personnes et près de 40 % de la population totale du Canada. La région du Grand Toronto compte à elle seule 59 circonscriptions fédérales, qui se répartissent comme suit : Toronto (24 sièges), région de Peel (13 sièges), région de York (9 sièges), région de Durham (7 sièges) et région de Halton (6 sièges). Au cours des trois dernières élections fédérales, les libéraux ont été le parti dominant en termes de sièges.
Les sondages actuels suggèrent que les libéraux sont en passe de remporter à nouveau un grand nombre de ces circonscriptions, et que leur niveau apparent de soutien populaire leur permet de contester les circonscriptions détenues par les conservateurs et le NPD dans un grand nombre de régions, y compris Hamilton Niagara, le sud-ouest de l’Ontario, le centre de l’Ontario et l’est de l’Ontario. Les circonscriptions les plus serrées sont les suivantes :
- Aurora Oak Ridges – Richmond Hill – La députée libérale sortante Leah Taylor Roy fait face à un sérieux défi de la part du candidat conservateur et ancien député Costa Menegakis, dans une circonscription qui a connu de faibles victoires des conservateurs et des libéraux en 2019 et 2021 respectivement.
- Hamilton-Centre – Un bastion traditionnel du NPD actuellement détenu par le député sortant Matthew Green qui fait face à un sérieux défi de la part du candidat libéral Aslam Rana, un ingénieur professionnel, dans ce qui pourrait s’avérer un test pour les députés sortants du NPD qui font face à des chiffres de sondage désastreux.
- London Fanshawe – Un autre affrontement entre libéraux et néo-démocrates oppose la députée sortante néo-démocrate Lindsay Mathyssen au candidat libéral Najam Naqvi, un avocat de la région de London, dans une circonscription détenue par le NPD depuis 2006.
- Niagara Falls – Niagara-on-the-Lake – Détenu par les conservateurs depuis 2004, le député sortant Tony Baldinelli affronte l’ancienne candidate libérale fédérale Andrea Kaiser dans une circonscription clé de la région de Niagara qui a traditionnellement connu des résultats électoraux serrés.
- Peterborough – Dans cette circonscription traditionnellement marquée par la présence de députés libéraux et conservateurs depuis le début des années 1960, la députée conservatrice sortante Michelle Ferreri doit faire face à une forte opposition de la part de la candidate libérale Emma Harrison, une agricultrice de la région et propriétaire d’une petite entreprise.
- Windsor Ouest – Élu pour la première fois en 2002, le député NPD sortant de longue date Brian Masse est contesté par le candidat libéral Richard Pollock, procureur de longue date la Couronne fédérale et avocat plaidant de longue date au civil dans une ville qui compte parmi les plus durement touchées par les tarifs douaniers.
Si la situation des libéraux en Ontario semble prometteuse, les conservateurs conservent une grande partie de leur force traditionnelle dans les circonscriptions rurales de la province et pourraient encore conserver un grand nombre de leurs sièges actuels. Ils sont également considérés comme bien placés sur des questions clés telles que l’abordabilité et le coût de la vie. Ce qui inquiète les conservateurs, c’est l’effondrement relatif du soutien au NPD en Ontario, ce qui suggère qu’ils ne pourront pas compter sur le partage traditionnel des voix pour remporter des circonscriptions dans lesquelles les résultats sont traditionnellement serrés. Cette situation pourrait mettre en péril plusieurs députés conservateurs sortants. En revanche, les libéraux doivent s’assurer qu’ils détiennent des circonscriptions clés dans l’ensemble de l’indicatif 905 tout en cherchant à réaliser de nouveaux gains.
Pour le NPD, le maintien de ses cinq députés sortants serait considéré comme une victoire à ce stade. Le NPD a subi une baisse marquée du vote populaire lors des dernières élections provinciales de l’Ontario, mais a réussi à réélire un grand nombre de ses députés sortants grâce à une campagne axée sur le maintien de son rang. Il reste à voir si une stratégie similaire s’avérera aussi fructueuse dans une campagne fédérale si fortement divisée entre les libéraux et les conservateurs sur une question d’importance nationale.
Geoff Norquay a contribué à la rédaction de cet article.