Les Canadiens se rendront aux urnes le 28 avril pour choisir un nouveau gouvernement après une campagne électorale de 36 jours. La gouverneure générale Mary Simon a signé le bref d’élection hier, à l’issue d’une réunion avec le premier ministre Mark Carney.
Rapport sur les perspectives électorales
Bienvenue dans le rapport hebdomadaire « Perspectives électorales » d’Earnscliffe Strategies, qui sera publié tous les vendredis tout au long de la campagne.
Plusieurs d’entre nous, chez Earnscliffe, avons passé une partie de notre carrière à s’impliquer dans les campagnes électorales : gérant les communications dans les salles de crise, partageant des conseils dans les avions et bus de campagne, aidant les leaders dans la préparation pour les débats et la rédaction de leurs discours de campagne.
Forts de ces nombreuses années d’expérience, nous irons analyser ce qui se passe derrière les gros titres de cette campagne :
- La manière dont les partis définissent la question du scrutin, leurs stratégies et dépenses publicitaires, et ce qu’ils font sur le front des médias numériques et sociaux.
- Où les leaders cherchent-ils du soutien et pourquoi, et où se trouve le point d’intersection entre la politique et le leadership.
- Comment les tiers partis et les groupes de la société civile tentent d’animer la campagne et d’influencer les choix électoraux des Canadiens.
- Enfin, nous prendrons le pouls de l’opinion public grâce à notre sondage d’opinion omnibus bihebdomadaire, qui permet de savoir ce que les Canadiens pensent des questions les plus importantes auxquelles le pays est confronté.
Le contexte de l’élection 2025
Il n’est pas exagéré de dire que cette élection ne ressemblera à aucune autre dans l’histoire de notre pays. Elle survient à un moment de changement politique sans précédent et de turbulences économiques causées par une série de menaces implacables et existentielles contre le Canada de la part du président américain Donald Trump.
Il y a moins de trois mois, il s’agissait d’une bataille électorale traditionnelle entre les partis autour du thème « L’heure du changement ». En début 2025, après neuf ans au pouvoir, les libéraux étaient dirigés par un Justin Trudeau extrêmement impopulaire. Pierre Poilievre et les conservateurs avaient une avance de plus de 20 points de pourcentage dans les sondages et semblaient se diriger vers une victoire éclatante, mais le paysage politique du Canada a été bouleversé.
Le 6 janvier, Justin Trudeau a indiqué qu’il démissionnerait en tant que chef du parti libéral et a appelé à une course à la chefferie du parti pour choisir son successeur. L’économiste international Mark Carney, la seule personne à avoir dirigé les banques centrales de deux pays du G7, l’a emporté. Une fois devenu premier ministre, sa première décision a été de mettre fin à la tarification du carbone pour les consommateurs, privant ainsi M. Poilievre de sa critique la plus virulente envers les libéraux.
Au sud de la frontière, après avoir été assermenté à titre de président en janvier, Donald Trump a menacé, puis déclenché une guerre commerciale avec le Canada, qui coûtera probablement des milliers d’emplois canadiens. En outre, il a contesté de manière répétée et agressive la souveraineté du Canada et a parlé d’utiliser des mesures économiques pour appauvrir le pays et le forcer à devenir le 51e État. Le libre-échange bilatéral avec les États-Unis ayant été arraché à la couverture de sécurité des Canadiens, l’anxiété et la défiance qui en résultent face aux menaces de M. Trump ont déclenché une poussée de nationalisme et de patriotisme canadiens sans précédent.
Que disent les sondages?
Selon Qc125 Canada, qui fait la moyenne de tous les sondages publics canadiens, les événements politiques survenus depuis le début de l’année ont eu un impact significatif sur l’opinion publique.
Le 6 janvier 2025, le jour où Justin Trudeau a annoncé sa démission imminente, les conservateurs avaient le soutien de 43 % des Canadiens, suivis par les libéraux (20 %) et les néo-démocrates (18 %). Au 20 mars, selon Qc125, les conservateurs et les libéraux sont maintenant dans une égalité parfaite à 38 %, et le NPD n’est plus qu’à 11 %, certains sondages montrant maintenant les libéraux en tête.

Au Québec, les libéraux ont renversé l’avance détenue par le Bloc Québécois au début du mois de janvier, et sont maintenant à 36 %, avec le Bloc à 28 %, les conservateurs à 23 % et le NPD en queue de peloton à 8 %.

Ces résultats de sondage volatils indiquent à quel point la démission de M. Trudeau, l’élection de M. Carney au poste de chef du parti et les menaces commerciales de M. Trump ont transformé l’opinion publique canadienne. L’avance massive des conservateurs a disparu, et ils sont désormais à égalité avec les libéraux sous la direction de Mark Carney en termes de soutien public. En outre, le NPD a chuté précipitamment depuis le début de l’année, passant de sa fourchette habituelle de 18 % – 22 % au cours des mois précédents au niveau de 9 % – 13 % dans les sondages actuels.
Plusieurs facteurs entrent en jeu dans l’effondrement du soutien au NPD. Les menaces de M. Trump semblent avoir créé une nouvelle dynamique électorale dans laquelle l’élection est de plus en plus perçue comme un choix binaire entre les libéraux et les conservateurs, et une telle polarisation tend à évincer les tiers partis. Il est clair que les gains des libéraux depuis le début de l’année se sont faits aux dépens des conservateurs et du NPD. Certains électeurs potentiels du NPD pourraient également décider de voter stratégiquement pour empêcher aux conservateurs de former le gouvernement. Comme lors de nombreuses élections, le NPD doit maintenant relever le défi d’élargir sa tente de soutien potentiel afin d’éviter que les électeurs n’aient l’impression de « voter pour rien ».
L’effondrement du NPD est également une mauvaise nouvelle pour les conservateurs. De nombreuses circonscriptions du Canada anglophone dépendent d’un NPD fort pour diviser le vote progressiste en prenant des voix aux libéraux afin de permettre aux candidats conservateurs d’atteindre le centre et de remporter des sièges. Le NPD ayant désormais un soutien public à un nombre d’un chiffre ou presque, il y aura beaucoup moins de circonscriptions dans lesquelles ce scénario est possible.
Comment interpréter des sondages contradictoires
Allan Gregg, le réputé sondeur et partenaire à Earnscliffe, a deux mantras : « Croyez en vos données, même si elles vous font pleurer » et « Si vous ne savez pas à quel sondage vous fier, ne vous fiez à aucun d’entre eux. »
Les trois derniers mois ont été marqués par une grande variabilité dans les sondages : une avance considérable des conservateurs, une diminution de leur soutien, une égalité parfaite entre les conservateurs et les libéraux, une légère ou forte avance des libéraux, et tout ce qui se situe entre ces extrêmes. Si plusieurs tendances se dégagent de ces résultats, que faut-il penser des sondages lorsqu’ils ne sont pas en accord entre eux ?
Malgré l’apparente diversité des classements simultanés, il existe un consensus sur l’évolution des chiffres. Tous s’accordent à dire que l’avance considérable que les conservateurs détenaient depuis longtemps a disparu. Plusieurs études démontrent que cette évolution est liée à trois gros changements dans l’environnement politique : Le départ de M. Trudeau, l’accession de Mark Carney à la tête des libéraux et au poste de premier ministre et la guerre commerciale de M. Trump avec le Canada ainsi que ses menaces d’annexion. Nous pouvons convenir que l’opinion publique est en mouvement et que ce que nous observons est une mesure des changements rapides entre les partis. Cependant, dans une période de changements volatiles de l’opinion publique, il peut être plus utile de se concentrer sur la tendance de chaque institut de sondage. Actuellement, les différences entre eux sont si frappantes qu’elles peuvent détourner l’attention de ce qui est généralement une similitude de tendance.
En outre, il est clair que les opinions sont très douces en ce moment, les électeurs n’ont certainement pas eu beaucoup de temps pour apprendre à connaître Mark Carney et les montagnes russes des menaces de M. Trump peuvent rendre la situation très stressante un jour et beaucoup moins le lendemain. Une opinion douce est une opinion malléable, changeante. Attendez-vous donc à des changements dans les sondages, mais essayez de ne pas comparer la publication d’une société un mardi avec celle d’une autre société un mercredi sans connaître l’histoire sur laquelle chaque société se base. Il semble que nous vivions un moment étrange de désaccord sur la position des partis, mais un moment d’accord sur les tendances.
La question du scrutin
La tâche la plus importante d’un chef de parti lors d’une élection nationale est de créer la question du bulletin de vote. C’est le principal élément de différenciation de chaque chef de parti par rapport aux autres et c’est aussi la phrase stratégique qui présente le « grand thème » de la campagne et qui encadre le choix que feront les électeurs le jour de l’élection.
Au début de l’année 2025, Pierre Poilievre et les conservateurs ont mis au point une question de vote qui fait mouche et qui réunit tous les ingrédients d’une victoire éclatante. Elle permettait de regrouper le seul grand problème avec tous les autres et constituait un appel immédiatement reconnaissable pour les circonscriptions clés : « Mettons la hache dans la taxe. Bâtissons des logements. Réparons le budget. Mettons fin à la criminalité ». Mais la démission de M. Trudeau, l’ascension de M. Carney, la fin de la taxe carbone et les menaces de M. Trump ont changé la donne. Poilievre a tenté de pivoter et de s’adapter aux nouvelles circonstances, mais il est apparu mal à l’aise et peu sûr de lui alors qu’il cherchait un nouveau récit susceptible de toucher les électeurs dans ce nouvel environnement politique.
Les campagnes électorales portent généralement sur le passé et l’avenir, le bilan du gouvernement actuel par rapport à l’alternative offrant changement et opportunités. En 2025, l’élection portera avant tout sur le présent, ce qui conduira à la question de vote suivante : « Qui est le dirigeant le mieux équipé pour protéger la souveraineté canadienne et négocier avec le président M. Trump? »
Étant donné que cette question joue manifestement en faveur de Mark Carney, les libéraux mettront l’accent sur son expérience au sein du gouvernement et dans le secteur privé et sur son expertise par rapport au parcours plus limité de Pierre Poilievre. On peut s’attendre à ce que des stratégies d’attaque soient mises en œuvre, les conservateurs dépeignant Mark Carney comme « tout comme Justin » et les libéraux affirmant que Pierre Poilievre est un « mini Trump ».
S’exprimant à Ottawa vendredi dernier, M. Poilievre a présenté son alternative : « Voulons-nous un quatrième mandat de libéraux qui bloquent les ressources, taxent les gens, font grimper nos coûts, déchaînent la criminalité dans notre communauté et nous rendent faibles et sans défense face aux Américains, ou voulons-nous placer le Canada au premier plan pour une fois?
Au fur et à mesure que la campagne progresse et que les couches de ces questions contradictoires sont retirées, des questions plus substantielles auxquelles toutes les parties devront répondre émergeront:
- Êtes-vous favorable à des tarifs douaniers de rétorsion sur le principe dollar pour dollar contre les États-Unis ou y a-t-il une limite à votre volonté?
- Quand et comment atteindrez-vous l’objectif de 2 % de dépenses de défense de l’OTAN? Allez-vous relever l’objectif de dépenses du Canada?
- La diplomatie internationale fondée sur des règles et nos relations commerciales les plus importantes étant remises en question, comment allez-vous développer de nouveaux partenaires en matière de commerce et de sécurité, et avec qui?
- Compte tenu des déficits élevés et de l’augmentation de la dette, comment allez-vous réduire les impôts comme vous l’avez promis, tout en diversifiant l’économie, en investissant dans la croissance pour résoudre le problème de productivité du Canada, en aidant les travailleurs potentiellement touchés par les tarifs douaniers de M. Trump et en établissant des corridors énergétiques entre l’est et ouest ainsi que des corridors de commerce intérieur?
La Convention de transition et les relations entre le Canada et les États-Unis
Les règles qui définissent les limites de ce qu’un gouvernement peut et ne peut pas faire pendant la période électorale sont appelées la « Convention de transition ». La convention n’est pas de nature législative ; il s’agit plutôt d’un protocole qui définit les comportements acceptables pour le gouvernement et le cabinet pendant la période électorale.
La période de transition commence dès que le gouvernement perd en raison d’un vote de confiance ou que le Parlement est dissout jusqu’à ce que le résultat d’une élection reportant un gouvernement sortant soit clair, ou jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit assermenté.
La Convention de transition couvrant l’élection de 2021 a noté que ses règles n’empêchent pas le gouvernement de s’occuper des « affaires courantes » et « nécessaires » du gouvernement pendant la période électorale. En outre, « En cas d’urgence, comme lors d’une catastrophe naturelle, le gouvernement doit disposer de la latitude nécessaire pour prendre les mesures appropriées afin que l’intérêt du public, notamment sa sécurité, soit préservé ».
Au cours d’une période de transition, l’action du gouvernement doit être limitée aux questions :
- de nature courante;
- qui ne suscitent pas la controverse;
- qui sont urgentes et dans l’intérêt public;
- qui peuvent être annulées par un nouveau gouvernement sans entraîner des dépenses ou des perturbations indues ou qui ont reçu l’agrément de l’opposition (dans les cas où la consultation est de mise).
While ministers remain in place for the purpose of departmental duties during the election period, they must “defer to the maximum extent possible such matters as
Bien que les ministres restent en place pour s’acquitter des tâches ministérielles pendant la période électorale, ils doivent « reporter dans la mesure du possible certaines questions telles que les nominations, les décisions se rapportant à des politiques, les nouvelles dépenses ou autres initiatives, les annonces, les négociations ou consultations, l’adjudication de contrats et l’octroi de subventions et de contributions autres que ceux de nature courante ». Les ministres doivent également « éviter de participer à des activités gouvernementales très médiatisées au pays et à l’étranger, comme des rencontres fédérales-provinciales-territoriales, des voyages internationaux et la signature de traités et d’accords ».
La Convention de transition de 2021 a spécifié quelques exceptions importantes à ces règles :
- « Événement national ou international d’envergure qui requiert que le premier ministre ou le ministre fasse des commentaires si on ne veut pas nuire au prestige ou aux intérêts du Canada.
- Par souci de clarté, des raisons impérieuses peuvent justifier que des ministres et (ou) des fonctionnaires poursuivent leur participation à certaines activités précises, comme les négociations de traités internationaux, par exemple lorsque les négociations sont rendues à un point névralgique et que l’horaire des travaux ne dépend pas du Canada. Le fait pour le Canada de ne pas participer aux négociations en cours pendant la période d’affaires intérimaires pourrait aller à l’encontre de ses intérêts. Dans de telles circonstances, il pourrait être justifié de poursuivre les efforts afin de protéger les intérêts du Canada. Toutefois, il faut éviter de poser des gestes irréversibles pendant la période d’affaires intérimaires, comme la ratification de traités. »
Ces exceptions à la Convention de transition sont importantes compte tenu de l’agitation qui règne actuellement dans les relations entre le Canada et les États-Unis. Il est probable que certains ou tous les tarifs douaniers américains suivants seront mis en place pendant la période électorale:
- L’exemption d’un mois accordée par M. Trump pour les droits de douane sur les automobiles canadiennes entrant aux États-Unis prend fin le 5 avril. Il en va de même pour l’exemption des droits de douane sur les produits canadiens entrant aux États-Unis qui sont « conformes à l’ACEUM ». M. Trump a déclaré à plusieurs reprises que le sursis prendrait fin le 2 avril.
- Les États-Unis ont promis d’annoncer le 2 avril un taux de droits de douane unique, spécifique à chaque pays, pour chacun de leurs partenaires commerciaux. Son secrétaire au Trésor a déclaré que les États-Unis donneraient ensuite aux pays la possibilité d’éviter les prélèvements en abaissant leurs propres droits de douane ou en répondant à d’autres griefs américains.
Puisque ces événements auront lieu pendant la période électorale, les réponses du gouvernement devront probablement être conformes à la convention de transition.