Peu après 18 h 30, au Centre Rogers à Ottawa, Mark Carney a été annoncé comme le nouveau chef du Parti libéral du Canada et premier ministre délégué par une victoire écrasante. Il prend la tête du parti à un moment décisif pour la politique et le commerce canadiens. Sans expérience politique préalable, M. Carney prend le contrôle du Parti libéral et bientôt du gouvernement fédéral, à l’approche d’élections anticipées et d’une guerre commerciale existentielle avec les États-Unis.
M. Carney a été le candidat le plus en vue tout au long de la campagne pour la direction du parti, devançant ses adversaires, Chrystia Freeland, Karina Gould et Frank Baylis, en termes de collecte de fonds et de soutien du caucus. Il a pu traduire ce soutien en une victoire substantielle, obtenant près de 86 % des voix des membres du Parti libéral, ce qui l’aidera à consolider sa position de chef du parti au sein du caucus.
Bien que Mark Carney ait remporté la course à la direction du parti, il ne pourra officiellement prêter serment en tant que 24e premier ministre du Canada que lorsque l’actuel premier ministre Justin Trudeau aura démissionné et que la transition puisse ainsi commencer. La semaine dernière, M. Trudeau a indiqué que le calendrier de la transition dépendrait des discussions avec le prochain chef du Parti libéral. Une fois assermenté, M. Carney sera l’ultime décideur de la convocation des élections, jusqu’à la rentrée parlementaire du 24 mars, date à partir de laquelle les événements pourraient ne pas dépendre entièrement du nouveau Premier ministre.
Vote et résultats
Le parti libéral a annoncé avant les résultats que 151 899 membres avaient voté dans le cadre de cette campagne à la direction du parti, sur un total de 396 000 électeurs inscrits. Il s’agit d’un nouveau record en termes de nombre de votes. Lors de la dernière course à la direction en 2013, qui a élu Justin Trudeau, environ 104 000 membres avaient voté.
Le vote pour la direction libérale a fonctionné sur un système de scrutin à vote préférentiel, les membres du parti choisissant les candidats dans l’ordre de leur préférence. Le parti a également utilisé un système de points pondérés pour égaliser les chances entre les circonscriptions rurales et urbaines du pays. Le nombre de points attribués à chaque candidat dépendait de sa part des voix dans chaque circonscription. Avec 343 circonscriptions, 34 300 points étaient en jeu, et 17 151 était le chiffre clé que chaque candidat devait atteindre pour remporter la victoire avec une marge de 50 %.
Bien que certains aient prédit une course plus serrée au début de la compétition, l’ancien banquier central l’a emporté haut la main dès le premier tour de scrutin, avec 85,9 % des 151 899 votes en sa faveur. Une performance décevante pour les trois autres candidats, mais qui offrira néanmoins une stabilité à un parti qui était en pleine mutation depuis un certain temps.
Résultats complets par candidat
- Mark Carney : 131 674 votes – 29 457 points – 85.9 % des voix.
- Chrystia Freeland : 11 134 votes – 2 729 points – 8 % des voix.
- Karina Gould : 4 785 votes – 1 100 points – 3.2 % des voix.
- Frank Baylis : 4 038 votes – 1 014 points – 3 % des voix.
Dans son discours d’acceptation, M. Carney a développé le thème de la soirée selon lequel le Canada est uni, et le Parti libéral du Canada l’est aussi. En une trentaine de minutes, le nouveau chef libéral s’est adressé à son parti et aux Canadiens, exprimant son intention, en tant que premier ministre, de bâtir un Canada plus fort pour tous, reprenant plusieurs des thèmes évoqués tout au long de sa campagne. Tout en remerciant le premier ministre actuel, Justin Trudeau, et en soulignant ses nombreuses réalisations au sein du gouvernement, M. Carney a en même temps appelé à des changements majeurs au Canada, guidés par de fortes valeurs canadiennes. Il a insisté sur le fait que ces changements nécessiteront des efforts considérables, avertissant le public de partisans : « Nous devrons faire des choses que nous n’avons jamais imaginées auparavant, à une vitesse que nous n’aurions pas crue possible. »
M. Carney a réaffirmé plusieurs des engagements formulés dans son programme électoral, notamment son intention de supprimer immédiatement la « taxe sur le carbone des consommateurs, source de division ». Il a également souligné que son gouvernement éliminera la hausse prévue de la taxe sur les gains en capital, dans le but de stimuler le lancement de nouveaux projets immobiliers à travers le pays, précisant que les investisseurs prêts à prendre des risques dans l’immobilier ne devraient pas être punis lorsqu’ils réussissent.
Le message pré-électoral était clairement évident dans le discours d’acceptation du premier ministre délégué, qui offrait une vision claire de son positionnement potentiel lors des prochaines élections. Il a fait plusieurs références directes à Pierre Poilievre, comparant son expérience dans le secteur privé et économique à celle de Poilievre, et a notamment tenté de lier le chef conservateur au président Donald Trump en déclarant : « une personne qui vénère Donald Trump s’agenouillera devant lui, mais ne s’opposera pas à lui ».
Transition vers la gouvernance, devenir premier ministre
En tant que nouveau chef du Parti libéral, M. Carney est sur le point de devenir le 24e premier ministre du Canada. Pour ce faire, on s’attend à ce que le premier ministre Trudeau présente sa démission à la gouverneure générale Mary Simon, permettant à M. Carney d’être assermenté dans son rôle par la suite. Cette séquence devrait se produire dès cette semaine.
Après être devenu premier ministre, M. Carney pourra former un nouveau cabinet ou garder les ministres déjà en place sous M. Trudeau. Chaque option est assortie de considérations.
En gardant en grande partie le cabinet de M. Trudeau intact, M. Carney pourra rapidement se concentrer sur l’élection fédérale à venir et sur les relations commerciales avec les États-Unis. Il pourra le faire en laissant les ministres expérimentés et déjà informés dans leurs portefeuilles, limitant ainsi le fossé de connaissances lié à la transition. Cependant, cette option pourrait nuire à la capacité de M. Carney de se distancier du gouvernement Trudeau, ce qui pourrait nuire à sa popularité lors de l’élection à venir.
En choisissant de remanier le cabinet, M. Carney pourrait faire exactement le contraire et différencier son leadership de celui de M. Trudeau en remaniant ou en supprimant des postes au sein du cabinet et en marquant de son empreinte l’équipe qui l’entoure. Toutefois, remanier le cabinet si peu de temps avant les élections présente également des défis.
M. Carney devra également décider si les candidats à la direction qu’il a affrontés, à savoir Chrystia Freeland et Karina Gould, devraient occuper un poste dans son cabinet. Plus tôt cette semaine, Freeland a déclaré qu’elle aurait nommé Mark Carney ministre des Finances, si elle avait gagné la direction. Selon des informations des médias, M. Carney devrait maintenir en place les ministres clés, notamment ceux travaillant sur les relations Canada-États-Unis, comme les ministères des Finances, du Commerce international et de la Sécurité publique.
Comme l’a rapporté le Globe and Mail le 8 mars, l’équipe de M. Carney est déjà en train de planifier la transition, y compris la décision sur le cabinet et les hauts responsables du bureau du premier ministre. En plus des transitions quotidiennes, des sources ont également mentionné que l’équipe discute du recrutement de candidats vedettes et de la base d’un programme électoral en vue des élections à venir. Il est probable que M. Carney convoque une élection anticipée avant le retour du Parlement le 24 mars, ce qui fixerait la date de l’élection aux alentours du 28 avril ou du 5 mai.
Problématique immédiate, relations commerciales avec les États-Unis
La victoire de M. Carney à la tête du Parti libéral survient à un moment critique dans la guerre commerciale en cours avec les États-Unis. Avec la menace persistante des tarifs américains pesant sur la population canadienne, le commerce et l’économie seront parmi les premières questions que M. Carney abordera en tant que premier ministre, et probablement le thème central de l’élection à venir, qui est le mieux placé pour gérer les relations avec l’administration américaine.
La gestion des relations commerciales Canada-États-Unis a occupé une grande place pendant la campagne pour la direction libérale, chaque candidat offrant des réponses similaires mais ciblées sur la manière dont il défendrait l’économie canadienne.
Pour M. Carney, renforcer l’économie canadienne interne tout en diversifiant les échanges commerciaux à l’étranger étaient au cœur de son programme économique. En tant que premier ministre, M. Carney chercherait à réduire les barrières commerciales internes et à simplifier les projets d’intérêt national. M. Carney propose notamment de réduire les formalités administratives et les réglementations relatives aux chaînes d’approvisionnement internes, de mettre en œuvre la mobilité interprovinciale des professionnels de la santé et de convoquer immédiatement une réunion avec les premiers ministres des provinces. De plus, M. Carney plaide pour augmenter les échanges avec des partenaires partageant les mêmes valeurs à travers l’Asie et l’Europe, afin de réduire la dépendance aux marchés américains. Si certains secteurs doivent rester étroitement liés aux intérêts américains, comme l’automobile, l’énergie et la sécurité, M. Carney suggère que le Canada utilise son expertise en matière d’énergie propre, de minéraux stratégiques et d’IA pour établir de nouveaux liens économiques à l’étranger.
En ce qui concerne les mesures immédiates à prendre pour répondre aux tarifs douaniers américains, M. Carney a soutenu l’idée de tarifs douaniers de rétorsion à raison d’un dollar pour un dollar et s’est montré ouvert à l’idée de reconvoquer le Parlement afin d’adopter une législation visant à soutenir les industries canadiennes touchées par les mesures commerciales, une idée évoquée par les partis d’opposition tels que le NPD. Plus tôt cette semaine, et en préparation de la possibilité de sa victoire, la ministre des Affaires étrangères Mélanie Joly a informé M. Carney des mesures tarifaires prises par le gouvernement pour faciliter une transition rapide.
Élection générale, calendrier et considérations
Quelle que soit la manière dont M. Carney choisira de gérer les premières semaines de son mandat, des élections fédérales sont attendues dans un avenir proche. Tous les partis politiques se sont préparés à une élection imminente au cours des derniers mois, avec des candidats confirmés et une infrastructure de campagne déjà préétablie dans de nombreux cas.
Si le Parlement revient le 24 mars, une élection pourrait être convoquée dans les 48 premières heures suivant le retour des députés à Ottawa. Comme pour toute ouverture d’une nouvelle session parlementaire, le parti au pouvoir doit présenter un discours du trône, lu par la gouverneure générale, exposant les priorités du gouvernement pour la prochaine session législative. Traditionnellement, les partis d’opposition utilisent ce discours comme une motion de censure, ce qui signifie qu’en cas de rejet de la motion à la Chambre des communes, une élection est déclenchée.
Si le gouvernement survit au discours du Trône, il sera confronté à deux autres motions de censure d’ici le 26 mars (l’une sur le budget des dépenses et l’autre dans le cadre d’une journée de l’opposition prévue à cette date). Si le gouvernement est renversé par une motion de censure, les élections auront probablement lieu le 5 ou le 12 mai, étant donné que les périodes électorales fédérales varient de 36 à 50 jours et que le jour du scrutin doit tomber un lundi.
Toutefois, il est possible que Mark Carney décide de ne pas convoquer le Parlement. Afin de profiter d’une récente remontée de l’opinion publique en faveur des libéraux et d’utiliser les lois sur les dépenses de campagne pour faire jeu égal avec un parti conservateur mieux financé, Mark Carney pourrait chercher à déclencher des élections rapides peu après avoir prêté serment en tant que premier ministre, préparant ainsi le terrain pour un jour d’élection dès le 28 avril. M. Carney a mentionné à plusieurs reprises la nécessité pour un gouvernement de disposer d’un « mandat fort » face aux tarifs douaniers américains et a remis en question l’utilité d’attendre la reprise des travaux du Parlement à la fin du mois, à moins qu’elle ne serve à adopter des mesures d’aide économique pour les secteurs canadiens touchés par les tarifs douaniers américains. Dans un courriel de collecte de fonds envoyé le matin du vote, M. Carney a qualifié la campagne fédérale à venir d’ « élection la plus importante de notre vie ».
Comme il n’occupe actuellement aucun siège au Parlement, M. Carney doit également choisir l’endroit où il compte se présenter pour devenir député, ce qui lui permettrait de siéger à la Chambre des communes, un privilège qu’il n’a pas pour l’instant. Jusqu’à présent, M. Carney n’a pas confirmé ses projets, mais il a laissé entendre par le passé qu’il briguerait un siège dans l’Alberta, la province où il a grandi. À l’inverse, M. Carney pourrait chercher à se faire élire dans une circonscription ayant de meilleures chances de l’emporter, potentiellement dans des bastions libéraux historiques situés plus à l’est, voire dans les zones urbaines de l’Ontario. Bien qu’il ne soit pas techniquement nécessaire pour un premier ministre d’occuper un siège à la Chambre des communes, cela permettrait à M. Carney de participer aux procédures régulières de la Chambre, y compris la présentation des principaux projets de loi et la période de questions.

