• Juin 25, 2017
  • Perspectives

Entendu « dans le monde entier »

Le Canada a redéfini ses orientations en matière de politique étrangère, de défense et d’aide internationale cette semaine.

Dans un discours à la Chambre des communes mardi, la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a procédé à un réalignement important des principes qui guident la politique étrangère du Canada. Ces principes reflètent l’évolution de l’ordre mondial, en particulier les répercussions découlant de l’élection de Donald Trump. Elle a présenté une vision d’un Canada activiste, marqué par le multilatéralisme, le respect des règles et des frontières internationales, l’augmentation du commerce international, une plus grande équité dans la distribution des avantages nationaux de la mondialisation et des capacités de défense accrues. Exprimant clairement son désaccord face à l’approche du président américain sur le commerce, Mme Freeland a soutenu que l’intensification des liens commerciaux aide tous les participants : « Loin de voir le commerce comme un jeu à somme nulle, nous croyons aux relations commerciales qui sont avantageuses pour toutes les parties. »

Sans nommer le président Trump, Mme Freeland s’est exprimée avec franchise à propos des changements qu’on a pu observer en politique étrangère aux États-Unis depuis son arrivée au pouvoir et sur ce que le Canada croit qu’ils signifieront tant pour lui-même que pour d’autres pays : « Le fait que notre ami et allié met en doute la valeur de son leadership mondial fait ressortir plus nettement le besoin pour le reste d’entre nous d’établir clairement notre propre orientation souverainiste. Pour le Canada, cette stratégie doit consister à renouveler, en fait à renforcer, l’ordre multilatéral de l’après-guerre. »

Le rejet sans équivoque, par Mme Freeland, de l’argument selon lequel le Canada pouvait « profiter gratuitement de la puissance militaire américaine » a servi de toile de fond à l’annonce de l’examen de la politique de défense le lendemain. « Se fier uniquement au bouclier protecteur des États-Unis ferait de nous un État client. (…) une telle dépendance ne serait pas dans l’intérêt du Canada. » Par conséquent, la ministre Freeland a ensuite déclaré : « la diplomatie et le développement canadiens nécessitent parfois l’appui de la puissance dure », un signal clair que le Canada augmentera ses dépenses de défense.

Des roses et des fusils

En présentant les résultats du processus d’examen exhaustif des politiques en matière de défense, le ministre de la Défense, Harjit Sajjan, a annoncé mercredi une augmentation importante des dépenses à long terme liées à la défense, avec des investissements qui passeront de 18,8 milliards de dollars à l’heure actuelle pour grimper à 25,4 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années (soit une injection de 6,6 milliards de dollars supplémentaires), et des fonds de 62,3 milliards de dollars répartis sur les 20 prochaines années. Aucune source de financement de ces nouvelles dépenses n’a été identifiée.

La majeure partie des nouvelles dépenses en immobilisations sera affectée à la construction d’un plus grand nombre de navires de combat [jusqu’à 15 au total] et d’avions de combat de conception avancée [88, une augmentation par rapport aux 65 annoncés antérieurement]. Il y aura un léger renforcement des effectifs des Forces armées canadiennes [3 500 personnes supplémentaires], ainsi que des investissements destinés à l’acquisition de drones et à l’accroissement des capacités en matière de cybersécurité et d’exploitation de l’espace.

Si cette prévision de hausse des dépenses se concrétise dans son entièreté, elle ferait grimper les dépenses militaires canadiennes de 1,19 % du PIB aujourd’hui à 1,4 % du PIB d’ici 2026-2027. Le président Trump et son secrétaire d’État, Rex Tillerson, se sont montré très critiques à l’égard des pays — dont Canada — qui sont loin d’atteindre l’objectif de dépenses suggéré par l’OTAN de deux pour cent du PIB. Les augmentations du budget de défense annoncées cette semaine sont concentrées sur les dernières années, très loin dans l’avenir. Il reste à voir si cet accroissement très progressif des dépenses en matière de défense par le Canada saura satisfaire les Américains.

Cette semaine également, la ministre du Développement international, Marie-Claude Bibeau a présenté la nouvelle Politique d’aide internationale féministe, à l’issue d’une période de consultation d’une année. Bien que les dépenses en matière d’aide internationale n’augmentent que de façon minimale et ne correspondent pas à la promesse d’y consacrer 0,7 % du PIB, la nouvelle politique repose sur une approche féministe qui représente un changement majeur dans les principes d’orientations en matière d’aide internationale. La nouvelle approche mettra l’accent sur l’égalité entre les sexes et l’autonomisation des femmes et des filles; les droits en matière de santé génésique et sexuelle; la nutrition et la sécurité alimentaire, l’éducation et les dépenses en matière d’aide humanitaire; la croissance économique inclusive; l’environnement et le changement climatique; le gouvernement inclusif; de même que la paix et la sécurité.

Ovation pour Obama

L’ancien président Barack Obama a livré son premier discours post-présidence à l’extérieur des États-Unis à Montréal, le même jour où la ministre Freeland prononçait son discours sur la politique étrangère. Dans son exposé, le président Obama a défendu une vision progressive d’une citoyenneté mondiale active et impliquée, qui conjugue ses efforts pour forger une destinée commune. Il s’est clairement opposé à la tentative du président Trump de soustraire les États-Unis de l’Accord de Paris, soulignant l’indéniable souffle derrière l’élan du mouvement de lutte contre le changement climatique. L’ancien président a ensuite partagé un repas en compagnie du premier ministre Trudeau, durant lequel ils auraient tous deux échangé sur les moyens d’encourager les jeunes à s’intéresser davantage à la politique et au gouvernement.

Par delà toutes les frontières

Les chambres de commerce nationales du Canada, des États-Unis et du Mexique se sont réunies cette semaine pour créer l’Alliance économique nord-américaine. Elle servira « de plate-forme aux trois organismes du secteur privé pour parler d’une seule voix aux gouvernements américain, canadien et mexicain sur le moyen le plus efficace d’améliorer notre compétitivité et notre capacité à créer des emplois en Amérique du Nord ».

Le nouveau groupe a promis de poursuivre plusieurs objectifs, y compris la protection des emplois et des revenus soutenus par l’ALÉNA, en s’appuyant sur ses fondements solides actuels, en gardant la négociation trilatérale, en modernisant l’accord tout en conservant les avantages actuels, en agissant rapidement pour réduire les risques et en consultant largement.

Le Conseil de la Fédération a envoyé une délégation de sept premiers ministres à Washington cette semaine. En plus de participer aux réunions sur l’ALÉNA, ils ont été les invités du Canada Institute of the Wilson Center, où ils ont eu l’occasion de transmettre leur message aux acteurs les plus influents de la capitale.

Taxe d’ajustement frontalier

Pendant que le reste de Washington était subjugué par le témoignage de l’ancien directeur du FBI, James Comey, sur les relations entre l’équipe de campagne de M. Trump et la Russie, le Congrès s’est penché sur la proposition de taxe d’ajustement frontalier [BAT], une solution essentielle pour générer les revenus nécessaires et pallier aux réductions d’impôt (y compris la proposition de réduire de manière substantielle l’impôt des sociétés). Le président de la commission des Voies et Moyens, Kevin Brady, [R-TX] et le président de la Chambre des représentants Paul Ryan [R-WI] défendent la BAT, mais plusieurs autres sont en désaccord avec cette mesure. Des groupes industriels des deux côtés ont envahi la colline cette semaine pour se porter à sa défense ou s’opposer. Pendant ce temps, un débat connexe s’est engagé sur la question de savoir si la taxe serait contraire aux règles de l’Organisation mondiale du commerce.

Le secrétaire américain du Trésor, Steve Mnuchin a rencontré son homologue à Ottawa vendredi. Après une brève rencontre bilatérale durant la matinée, le ministre Morneau a accompagné le secrétaire Mnuchin pour participer à une table ronde avec des chefs d’entreprise. Le secrétaire Mnuchin a également rencontré les membres du Cabinet. Le mandat qui lui a été confié est celui de la réforme fiscale et du budget d’ensemble, ce qu’il a défendu. Il s’est montré ouvertement critique à propos de la taxe d’ajustement frontalier que propose Kevin Brady (R. Texas), le président de la Commission des Voies et moyens de la Chambre des représentants.

Bois d’œuvre et agriculture

Après l’annonce la semaine dernière d’un important soutien financier pour l’industrie domestique du bois d’oeuvre, le ministre des Ressources naturelles, Jim Carr, a dirigé une mission commerciale en Chine où il a signé un protocole d’entente pour promouvoir le bois et les produits du bois canadiens pour aider à bâtir des villes plus durables.

À noter, le secrétaire à l’agriculture des États-Unis, Sonny Perdue, qui est largement considéré comme un partisan de l’ALENA, a rencontré son homologue Lawrence MacAulay à Toronto cette semaine lors de la réunion annuelle du Sud-Est des États-Unis et des Alliances des provinces du Canada (SEUS-CP). Les deux ont discuté de ce qui pourrait être inclus dans l’ALENA, et le secrétaire Perdue a poursuivi la structure tarifaire du Canada sur les produits laitiers et le blé, les deux irritants qui seront sans aucun doute sur la table de renégociation de l’ALENA.

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